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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/252

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— Me railler dans un pareil moment ! — s’écria Scipion en interrompant Basquine ; — mais vous êtes donc sans pitié ?

— Oui, je serai sans pitié… parce que vous vous êtes laissé jouer, duper, par cet homme, et que je suis assez folle pour ressentir aussi amèrement, plus amèrement que vous, la honteuse position où vous êtes. Après tout, cela me serait bien égal à moi, si je ne vous aimais pas.

— Mais, encore, une fois, c’est à devenir fou, — s’écria Scipion, exaspéré ; — que voulez-vous que je fisse contre la force ?

— Est-ce que je le sais, moi ?… Il fallait être plus adroit, plus roué que cet homme qui s’est indignement joué de vous… qui vous a rendu ridicule.

Scipion leva ses deux poings vers le ciel avec une expression de fureur muette, impossible à rendre.

Basquine poursuivit :

— Oui, je serai sans pitié, parce qu’au lieu de trouver en vous, comme je l’avais cru, cet amant que je rêvais depuis si longtemps, ce démon charmant, moqueur et hardi, avec qui je voulais rire, entre deux baisers, rire de tous ces niais qui, dupes de mon masque, me vénèrent, s’attellent à ma voiture ou se tuent pour moi, rire de ces pieuses grandes dames qui garantissent ma vertu… rire de tout… et de tous enfin… et c’est de vous maintenant que je serais, pardieu ! tentée de rire, grâce au ridicule dont cet homme vous couvre !… Oui, je serai d’autant plus impitoyable, que j’ai davantage espéré… Il ne fallait pas me monter la tête… malgré moi, ou plutôt malgré vous, car, Dieu me damne ! je commence à croire, pauvre innocent, que vous ne l’avez pas fait exprès… il ne fallait pas me faire entrevoir la délicieuse et hautaine figure du pâle don Juan, de ce roué intrépide et charmant, pour laisser à sa place je ne sais quel petit jeune homme piteux, honteux, que M. son père vient relancer : chez moi, en compagnie de gens de police…

— Que la foudre m’écrase si je ne suis pas résolu à tout pour me venger ! — s’écria Scipion dans une effrayante exaltation. — Mais, pour se battre, il faut une arme, et je n’en ai pas là sous la main.

Les veux de Basquine semblèrent étinceler d’un feu souterrain ; elle reprit avec son ironie habituelle :

— Vous avez raison, on ne trouve pas tout de suite une vengeance… là, sous la main… Aussi, comme le temps presse… épousez Raphaële, vous serez un excellent mari… D’ailleurs, tenez, mon