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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/267

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Scipion, livide, moribond, sans mouvement, les cheveux souillés du sang qui, d’une large blessure béante à la tempe droite, coulait lentement sur sa joue, était couché sur un lit.

Agenouillé au chevet de ce lit, les mains jointes, se tenait le comte Duriveau ; son gilet blanc était ensanglanté, et son visage, baigné d’une sueur froide, était plus livide encore que celui de son fils agonisant.

Vers le milieu de la chambre, on voyait une lourde chaise de bois à demi brisée, au milieu d’une mare de sang à côté d’un châle appartenant à Madame Wilson.

En face de la porte où se tenait Martin presque défaillant, les figures de Basquine et de Bamboche se dressaient immobiles, pâles, implacables, et se détachant à demi sur les ténèbres de la pièce voisine où ils se tenaient silencieux, à deux pas du seuil de la porte.

Le comte ne les avait pas aperçus… Ses yeux fixes, ardents, malgré les larmes dont ils étaient voilés, s’attachaient sur les yeux mourants de son fils ; la bouche de M. Duriveau, entr’ouverte par une contraction spasmodique de la mâchoire, semblait ne plus pouvoir se refermer ; il laissait échapper des sanglots convulsifs, strangulés, seul bruit qui rompît çà et là l’effrayant silence de cette scène…

La figure de Scipion, quoique déjà marquée de l’empreinte de la mort, était encore charmante… Ses lèvres, froides et bleuâtres, s’agitant faiblement sous sa petite moustache blonde, semblaient chercher un dernier sourire sardonique, et découvraient ses dents du plus pur émail. Il appuyait sa tête sur son bras replié… et sa main, délicate et blanche comme la main d’une femme, disparaissait à demi parmi ses cheveux châtains, dont parfois elle étreignait quelques boucles soyeuses, cédant ainsi aux crispations machinales de l’agonie.

Enfin… le comte Duriveau fit un violent effort pour prononcer quelques paroles, et ces mots entrecoupés sortirent de ses lèvres tremblantes.

— J’ai tué… mon fils… j’ai tué mon fils…

Cela était affreux… On eût dit que ce misérable, dans l’espèce de délire où il demeurait plongé, prononçait forcément, fatalement, ces paroles… et qu’il n’en trouvait pas d’autres… car il répéta une troisième fois en secouant convulsivement la tête :

— J’ai tué mon fils… j’ai tué mon fils…

À ce moment, les yeux de Scipion, jusqu’alors mourants, demi--