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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/270

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— Mais, ce meurtre ? dit Basquine à Bamboche, en frémissant, — car il lui avait caché ce crime, afin d’obtenir un refuge chez elle, — ce meurtre… c’était pour te défendre ? dans une rixe ?

— J’ai tué deux fois… et pour voler, — répondit Bamboche d’une voix brève. — Maintenant, un de plus… deux de plus… pour me sauver… tant pis ! on ne me coupera le cou qu’une fois… Adieu, mes amis, je vous ai revus… Votre main… et en avant !

Basquine et Martin, frémissant d’épouvante, repoussèrent la main que Bamboche leur tendait.

— Ah ! — dit le bandit avec une émotion farouche, — l’assassin… vous fait horreur… vous ne voulez pas seulement toucher sa main… Tant mieux… ça va me rendre féroce comme un tigre… je tuerai pour tuer…

Tout à coup, au milieu du tumulte qui redoublait au dehors, l’on entendit les voix des gens de justice crier :

— Au nom de la loi !… ouvrez… ouvrez…

— Oh ! mon Dieu ! — s’écria Martin frappé d’une idée subite, — c’est horrible… ce malheureux… qui vient de tuer son fils… on va l’arrêter tout couvert… de son sang…

— Arrêté avec un comte… assassin !… Quel honneur pour moi ! — s’écria Bamboche avec un éclat de rire diabolique.

Malgré l’espèce de délire où il était plongé, M. Duriveau, appelé à lui par le bruit toujours croissant qui se faisait au dehors, se redressa brusquement du lit de mort de son fils, écouta ; puis apercevant Martin qui, éperdu, sortait de la chambre sans issue où se tenaient encore Basquine et Bamboche :

— Martin ! — s’écria le comte en se reculant avec stupeur, — vous ici !…

— La garde est en bas… — s’écria Martin ; — elle va monter…

— Ah !… j’ai tué mon fils… — murmura M. Duriveau en frissonnant, — l’échafaud m’attend !!…

— Et la fuite… impossible… — reprit Martin, désespéré.

— Oh ! sauvez-moi !… — murmura le comte dans le premier égarement de son épouvante, — sauvez-moi !… vous êtes aussi mon fils, vous ! Ce n’est pas pour insulter à mon désespoir… à mon crime… que vous êtes venu là. J’ai appris à vous connaître ; vous êtes généreux. Vous êtes ici, c’est pour me sauver… n’est-ce pas ? Vous avez été secourable à tant d’autres… ayez pitié de moi. Oh ! l’échafaud ! Eh bien ! oui, je suis lâche… j’ai peur… je vous implore…