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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/65

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Et Juliette m’a quitté.

Lorsqu’elle a ouvert la porte de la chambre de la princesse, la glace de Venise, où j’ai jeté les yeux… malgré moi, s’est éclairée de nouveau… je n’ai vu que la petite chaise bleue au coin de la cheminée de marbre blanc.

 

Bientôt Régina est entrée dans son parloir, où je l’attendais avec les fleurs toutes préparées.

Jamais la princesse ne m’a paru d’une beauté plus radieuse, d’une fraîcheur plus juvénile. Je ne sais pourquoi il m’a semblé qu’elle devait être dans l’un de ces moments où les femmes les plus modestes se savent… se sentent par instinct sensuellement belles. On eût dit qu’elle se grandissait en marchant, ses petites narines roses se dilataient, son sein palpitait légèrement, tandis que, encore moites de la tiédeur du bain parfumé, ses beaux bras sortaient à demi des manches flottantes de sa robe de chambre de cachemire blanc, dont les plis moelleux semblaient caresser ce corps divin avec amour.

Ainsi que me l’avait dit étourdiment sa femme de chambre, ma maîtresse n’était pas encore lacée. Telle était la naturelle élégance de son corsage arrondi, qu’on l’eût dit sculpté dans le marbre ; telle était la svelte souplesse de sa taille, qu’elle paraissait d’une finesse presque exagérée ; étroitement ceinte qu’elle était d’une cordelière de soie pourpre

Ma maîtresse se trouvait sans doute sous l’impression d’une pensée riante et heureuse… peut-être amoureuse… car ses traits charmants étaient doucement épanouis ; puis, contemplant la masse de fleurs au milieu desquelles elle s’avança avec un lent ravissement, elle s’écria :

— Mon Dieu ! les beaux camélias, les belles primevères, les belles roses… Que tout cela est frais et brillant !…

Je l’ai aidée à arranger les fleurs : je les lui apportais, et elle les plaçait ensuite elle-même dans les vases, mélangeant, nuançant avec un goût exquis les feuillages et les couleurs.

La jardinière, qui entourait sa table à écrire, était presque au niveau du tapis ; pour la garnir, il a fallu que ma maîtresse se mit à genoux, tandis que, debout, me courbant vers elle, je lui apportais les fleurs à mesure qu’elle les demandait ; j’étais alors si près d’elle que le suave mélange de fraiche verveine et d’iris qui s’exhalait d’elle me montait au cerveau comme un philtre enivrant… enfin,