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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/71

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d’habitude, du parloir de Régina. J’ai ouvert l’un des rideaux de la portière, et j’ai annoncé à ma maîtresse :

— Monsieur le capitaine Just !

Régina était assise… Elle a rougi un peu, s’est tournée vers Just à qui elle a tendu vivement la main en lui disant d’une voix pénétrée :

— Je suis heureuse de vous revoir, Monsieur Just.

Laissant retomber le pan de la portière… je me suis éloigné, le cœur brisé, traversant lentement le salon d’où j’aurais pu écouter… mais je n’en ai pas eu la pensée… j’aurais trop souffert…

Je suis allé tristement m’asseoir devant la table où je reste ordinairement et j’ai caché ma figure dans mes mains.

— Que se disent-ils ? pensai-je avec amertume.

 

Just, avec un tact parfait, avait évité l’écueil du bras en écharpe, ridicule présumé sur lequel le prince s’était si fort égayé d’avance ; un peu de gêne dans l’articulation, qui se trahit à la manière dont le capitaine tenait son chapeau à la main, telle était la seule trace apparente de sa blessure ; il ne m’a jamais paru plus beau qu’aujourd’hui, de cette beauté à la fois mâle et douce qui le distingue ; ses cheveux courts et châtains comme ses sourcils, ses yeux bleus, grands et bien fendus, son front large, intelligent, glorieusement cicatrisé, son teint hâlé, sa moustache presque blonde, son sourire gracieux et fin, son menton prononcé, donnent à ses traits un rare caractère de franchise et d’énergie ; beaucoup plus grand que le prince, sa démarche, sans avoir la raideur militaire, à ce je ne sais quoi de ferme, de contenu, que donne l’habitude de porter l’uniforme, contraste frappant avec l’espèce de laisser-aller, non sans élégance d’ailleurs, particulier à la tournure de M. de Montbar et des hommes à la mode que reçoit Régina ; le même contraste existait entre la mise luxueuse, recherchée du prince, et la sévérité de l’habillement de Just. Cette sévérité néanmoins n’excluait pas l’élégance ; sa redingote noire, croisée et boutonnée jusqu’au ruban rouge qu’il porte, était courte et avantageait parfaitement sa taille, que la robuste ampleur des épaules faisait paraître plus mince et plus élégante encore ; son pantalon d’un gris de deuil, s’arrondissait sur un pied aussi remarquablement petit pour la haute stature du capitaine, que l’était sa main soigneusement gantée de noir.

En un mot le prince et lui, jeunes tous deux, beaux tous deux, différaient aussi bien moralement que physiquement. Aussi, à la phy-