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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/92

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liette, dans laquelle Astarté, parlant des remarques faciles aux valets de chambre, disait qu’ils pouvaient parfois tirer de significatives inductions des mains gantées en entrant et dégantées en sortant ; j’avais remarqué que le capitaine, portant encore son demi-deuil, était ganté de gris ; en apportant la première lettre afin de méchamment interrompre l’amoureux entretien de Just et de Régina, toute mon attention s’étant concentrée sur ma maîtresse, je n’avais pas observé si lui s’était déganté.

Un quart d’heure s’était à peine passé depuis ma fâcheuse interruption, je mis la seconde lettre sur un plateau, cette fois j’entrai de nouveau.

— Qu’est-ce donc encore ? — m’a dit sévèrement Régina.

— Une lettre pour Madame…

— Vous m’apporterez mes lettres quand je vous sonnerai — a-t-elle ajouté d’un ton sec et dur, sans prendre la lettre que j’apportais.

Je sortis en balbutiant une excuse ; les mains du capitaine Just, aussi blanches que celles de Régina, n’étaient plus gantées.

— Elle ne répugne pas à presser les mains de Just dans les siennes, — ai-je pensé.

En vérité, qu’à cette heure j’écris de sang-froid ces choses puérilement odieuses, je suis à concevoir encore de quel vertige je devais être frappé dans cette funeste journée… je me le demande… et pourtant je le sais, mais je n’ose me l’avouer, hélas ! les ferments d’une ardeur coupable, honteuse, longtemps combattue, mais exaltée par la fatale scène du matin, bouillonnaient en moi et obscurcissaient ma raison.

Et ma maîtresse ignorait cela ; ne pouvait pas se douter de cela. — Un laquais aimer une femme jeune et charmante et auprès de laquelle il vit sans cesse dans une intimité forcée ? Est-ce que ces gens-là ont un cœur, des sens… Quand ça aime, ça n’aime que ses pareils.

Le capitaine Just est parti à cinq heures moins un quart, ils sont restés près de trois heures ensemble. Il n’importe à Régina, le prince est absent.

Elle a demandé sa voiture pour huit heures, afin d’aller se promener le soir aux Champs-Élysées selon son habitude. Elle y verra sans doute son amant ; elle m’a dit après dîner :

— Soyez ici à onze heures ; jusque-là disposez de votre soirée si vous le voulez… et une autre fois, ne m’apportez donc jamais mes lettres qu’après le départ des personnes qui sont chez moi.