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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/97

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fit plus. Orgueilleuse princesse… vous n’aimerez jamais un laquais, vous ne le pouvez pas, je le sais, quoiqu’il l’ait mérité à force de sacrifices et d’amour. Eh bien ! le laquais pourtant vous possédera, et après il se tuera… »

 

Oui, pendant cette heure maudite, j’ai pensé tout cela sincèrement.

 

Minuit a sonné.

Voulant étourdir un dernier remords, j’ai vidé d’un trait le quart de la bouteille d’eau-de-vie, et je me suis dirigé vers la chambre à coucher de Régina, la tête perdue, mais le pas assuré, la main ferme, l’oreille au guet, l’œil alerte.

La lune jetait de grands rayons lumineux dans le salon, dans le parloir et dans la galerie de tableaux.

Cela m’a éclairé jusqu’à la chambre à coucher.

J’ai écouté, je n’ai rien entendu… rien…

Si Régina était éveillée, j’étais perdu… Elle pouvait saisir le cordon de la sonnette… J’ai regretté de ne pas l’avoir coupé le soir…

Si, en ouvrant la porte, je réveillais Régina… j’étais encore perdu…

Un moment j’ai hésité de nouveau… puis, entraîné par d’enivrants souvenirs, résolu de mourir… j’ai donné à la serrure un seul tour de clef rapide et net.

Les battements de mon cœur se sont arrêtés ; j’ai écouté… rien… pas le moindre bruit…

Alors j’ai doucement ouvert la porte.

La chambre était éclairée par une lampe d’albâtre placée sur la cheminée.

Régina dormait.

Elle dormait si profondément, que, grâce à l’épaisseur des tapis, j’ai pu m’approcher assez près de son lit pour entendre son souffle doux et paisible…

La nuit était étouffante… Régina, ses grands cheveux noirs dénoués, dormait dans un désordre qui m’ôta le peu de raison qui me restait… Au moment de me jeter sur ma proie, j’ai machinalement regardé de côté et d’autre d’un œil oblique, comme si j’avais craint qu’il n’y eût quelqu’un là, quoique je fusse sûr d’être seul… Dans ce mouvement de tête, mes yeux se sont arrêtés soudain sur le miroir de la cheminée, assez vivement éclairé par la lampe d’albâtre…

Dans cette glace, j’ai vue une figure livide, dont l’expression était