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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/100

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fois moins de frais et quatre fois plus de récolte ; mais voilà le plus fort : je manquais de fumier… et, l’engrais, comme vous dites, c’est le pain de la terre, je manquais donc de fumier, et je n’avais pas de quoi en acheter, car cela m’aurait coûté peut être 70 francs par arpent… Qu’est-ce que vous me dites de votre jolie petite voix douce ? « En août, semez un carabin, maître Chouart, il sera fleuri en octobre, enfouissez-le, fleurs, tiges, feuilles et tout, il n’y a pas d’engrais meilleur et moins cher ; faites ensuite vos semailles sur la terre ainsi nourrie, et vous verrez la belle récolte ! » Je vous ai écouté, j’ai enfoui mon carabin en fleur : ça ne m’a presque rien coûté ; j’ai fait ensuite mes semailles, et au printemps mon froment tallait dru et serré comme un pré… je viens d’engranger et de battre… j’ai plus de dix setiers à l’arpent… je vous dis que c’est pire qu’en Beauce !

— Dix setiers à l’arpent ! — s’écria le vieillard avec un mélange de doute et d’admiration.

À cet instant, Bruyère aperçut le petit vacher, qui, sortant de la métairie, accourait vers elle.

— Le père Jacques vous appelle… vous appelle que c’est pitié, — dit l’enfant à la jeune fille, — nous ne pouvons dormir dans l’étable tant il gémit !

— Cours lui dire que je viens, — répondit Bruyère dont le visage s’attrista soudain ; puis s’adressant au vieillard :

— Mon bon père, maître Chouart vous dira ce qu’il a fait… sa bonne expérience vous encouragera, suivez mes conseils… vous vous en trouverez bien, et vous ne viendrez plus me demander de parler contre la terre nourricière… Mais je vais vous dire des paroles qui peuvent changer votre terre épuisée en terre féconde ; ces paroles, les voici, bon père ; retenez-les :

Cultivez peu… cultivez bien.

Année nouvelle, culture nouvelle.

À fréquent engrais, terre fertile.

Semez des prés… semez des prés…

Sans pré, pas de bétail.

Sans bétail, pas d’engrais.

Sans engrais, pas de grain.

— Pratiquez ces préceptes, bon père, — ajouta Bruyère d’une voix douce et pénétrée, — vous ne maudirez plus… vous bénirez la terre du bon Dieu…