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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/113

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— Il y avait un fait si précis dans cette révélation du vieillard, que Bruyère s’écria :

— Cet endroit dont vous parlez… ces ruines du fournil… je le connais… m’est-il permis d’y aller chercher ce que vous y avez caché ? Cela a-t-il rapport à ma naissance ? Oh ! par pitié, père Jacques ! encore un effort… répondez-moi…

— Oh !… ma tête tourne, — dit le vieillard en fermant les yeux, et comme épuisé par les efforts de mémoire qu’il venait de faire afin de raconter à Bruyère ce qu’il prenait pour un rêve, et ce qui n’était qu’un de ses rares retours de mémoire.

— Père Jacques, — s’écria Bruyère penchée sur la litière du vieillard, — je vous en supplie : encore un effort… Cette personne… était-ce ma mère ?… mon père ?.. Savez-vous s’ils vivent encore ?…

— Je ne sais plus… — murmura le vieillard d’une voix anéantie.

— Ma mère ?… un mot encore, et ma mère ?

Le père Jacques agita machinalement ses lèvres ; quelques sons inarticulés s’en échappèrent encore, puis il ferma les yeux, poussant de temps à autre de douloureux gémissements, comme si, distrait un instant de ses souffrances par son entretien avec la jeune fille, il les eût ressenties avec une nouvelle violence.

Après de nouvelles tentatives, Bruyère, certaine que ses instances seraient vaines, et navrée de son impuissance à soulager le vieillard, rehaussa quelque peu la paille qui lui servait de chevet, plaça à sa portée le petit panier de mûres sauvages, et sortit de l’étable, tremblante, émue, agitée, pensant à l’étrange révélation du père Jacques.

Si ardente que fût sa curiosité à l’endroit de la mystérieuse cachette indiquée par le vieillard, la jeune fille surmonta son impatience ; une pâle lumière se voyait encore dans la chambre du métayer, et Bruyère, pour se rendre aux ruines du fournil, attendit que tout le monde fût couché.

Et puis d’ailleurs, chaque matin et chaque soir, Bruyère se rendait auprès de la femme inconnue qui, arrivée nuitamment à la métairie, y demeurait depuis assez longtemps.

La jeune fille, ayant donc longé les bâtiments dont la cour était bordée, sortit de cette espèce d’enceinte, et alla frapper à une petite porte qui s’ouvrait derrière la maison, et donnait sur la berge de