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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/118

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La physionomie de ce souverain, jeune encore, exprimait un singulier mélange de haute intelligence, de résolution et de bonté : son sourire était doux quoiqu’un peu triste, comme si une connaissance précoce des hommes avait peiné son cœur, sans altérer sa bonté native ; son regard semblait à la fois pensif et pénétrant : ses traits d’ailleurs manquaient de régularité ; les lèvres étaient épaisses, le nez long, le visage carré, les yeux seuls étaient superbes et d’un bleu lapis qui s’harmoniait à merveille avec une chevelure blonde très-courte, très-lisse, et une épaisse moustache de même nuance.

L’attitude, le caractère des traits de ce prince révélaient une simplicité, nous dirions une bonhomie extrême, si la bonhomie ne passait pour être incompatible avec l’énergie : sa stature robuste et élevée, sa poitrine saillante et carrée, ses épaules larges, son col charnu, ses mains musculeuses, offraient un type plus plébéien qu’aristocratique, et annonçaient la vigueur et la santé.

Nous avons parlé des accessoires de ce portrait ; ils étaient nombreux et singuliers.

Au milieu du fond sombre et bitumeux du portrait, élevés sur deux autels, sans doute en signe de pieuse adoration, deux bustes dessinaient leur sévère profil de marbre blanc, peints par l’artiste dans une mystérieuse demi-teinte.

L’un de ces bustes représentait Brutus ;

L’autre buste était celui de Marc-Aurèle.

Le bonnet phrygien dont on avait coiffé la figure inflexible de Brutus était peint de couleur écarlate et entouré d’une lumineuse auréole qui rayonnait dans la pénombre où l’artiste avait, à dessein sans doute, laissé ce buste ainsi que celui de Marc-Aurèle. Le front pensif de ce dernier semblait également resplendir d’une clarté divine.

Il était impossible de ne pas voir dans cette glorification une preuve éclatante du culte de ce roi pour ce grand empereur et pour ce grand tribun…

Si l’on conçoit la sainte admiration d’un souverain pour Marc-Aurèle, l’un de ces hommes-Dieu, de ces âmes adorables et trois fois sacrées qui semblent directement procéder de la Divinité, on comprendra moins peut-être qu’un prince absolu, les rois du Nord le sont tous, ait voué une religieuse admiration, une sorte d’idolâtrie à cet indomptable tribun, en qui semblent incarnées la mâle vertu, la fière indépendance des âmes vraiment républicaines