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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/126

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Bruyère n’acheva pas : le trouble, la crainte, se peignirent sur son visage. Mme Perrine, étonnée du silence et de l’émotion de la jeune fille, reprit :

— Vous voilà toute pâle… toute tremblante… mon enfant, vous vous taisez ; qu’avez-vous ?… Que s’est-il passé ?

Après une nouvelle hésitation, la jeune fille reprit timidement :

— Dame Perrine… je suis seule au monde… en ce moment, je n’ai personne ici pour me conseiller… je n’ose pas agir de moi-même, et je viens à vous…

— Parlez… parlez, — répondit Mme Perrine avec un affectueux empressement, — je n’ai pas grandes lumières… mais je vous aime, cela m’inspirera bien… j’en suis sûre…

— Oh ! n’est-ce pas que vous m’aimez, dame Perrine ? — dit vivement Bruyère.

— Si je vous aime… mon enfant ! je vous aime comme j’aimerais ma fille, si le sort m’en avait donné une : mais il m’a mesuré le bonheur maternel… Je n’ai jamais eu qu’un enfant… qu’un fils… le meilleur… le plus digne des fils, — ajouta-t-elle avec orgueil.

Puis s’adressant à Bruyère avec tendresse :

— Mais, vous le voyez, je n’ai pas le droit de me plaindre, j’ai un fils dont je suis fière, et vous m’aimez presque comme vous aimeriez votre mère, n’est-ce pas, mon enfant ?

— Oui, oh ! oui, comme j’aurais aimé ma mère. — Puis, se reprenant, la jeune fille ajouta à demi-voix : — Hélas ! non… à une mère on dit tout…

Et elle se tut de nouveau en essuyant ses yeux humides de larmes.

— Écoutez, mon enfant… Depuis quelque temps… vous m’inquiétez, — dit madame Perrine en attirant Bruyère auprès d’elle, et, lui prenant les mains avec sollicitude : — Oui, depuis quelque temps, je vous ai trouvée pâlie… souffrante… préoccupée… il y a un mois surtout… vous savez, lorsque vous êtes restée trois jours sans me voir… je vous ai trouvée si changée…

— J’avais été malade, — répondit vivement Bruyère d’une voix altérée. — bien malade, dame Perrine… je vous l’assure.

— Je ne m’en suis que trop aperçue ; lorsque je vous ai revue, vous étiez méconnaissable… Et…

— Je vous en prie, — s’écria la jeune fille, d’une voix presque suppliante, — ne parlons pas de cela.