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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/147

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— Je vous dis, ma mère… qu’il faut être indulgente et avoir pitié des filles séduites…

— Tu pâlis encore… tu m’épouvantes…

— Ayez pitié… oh ! bien pitié… des malheureuses qui n’ont eu ni la vertu… ni le courage de résister… à Scipion… entendez-vous, ma mère !…

Et les sanglots entrecoupèrent la voix de la jeune fille.

— Raphaële… reviens à toi… calme-toi…

— Dieu vous punit, ma mère…

— Dieu me punit ?

— Cette malheureuse enfant que Scipion a séduite… était pauvre, sans appui, — reprit Raphaële avec un sourire d’une effrayante ironie, — aussi, vous avez dit, comme dira le monde… qu’importe !… mépris pour la victime… gloire au séducteur !

— Raphaële !!!

— Son enfant est mort… elle mourra peut-être aussi… qu’importe… une pareille créature ?… Peccadille de jeunesse du vicomte Scipion… Vous avez dit cela… et Dieu vous punit, ma mère…

— Oh !… mon Dieu ! mon Dieu !…

— Écho d’un monde égoïste et cruel, vous avez été sans pitié pour la pauvre fille des champs… Je vous dis que Dieu vous punit dans votre enfant… ma mère.

— Que dis-tu ?…

— Je dis que j’ai été aussi coupable… plus coupable encore que cette malheureuse créature, car je ne suis pas seule et abandonnée comme elle, moi… J’ai une mère tendre et adorée… que je n’ai pas quittée depuis mon enfance… Eh bien ! cette mère… si tendre… je l’ai trompée…

— Oh ! tais-toi…

= J’ai indignement abusé de sa confiance

— Tu ne sais pas ce que tu dis… tu es folle… Raphaële, reviens à toi !…

— Non, non, je ne suis pas folle… — s’écria la jeune fille presque en délire ; — mais je le deviendrai… si je ne meurs pas de honte.

— De honte !…

— Moi non plus ! je n’ai pas su résister à Scipion !…

— Malheureuse !…

— Qu’importe ?… Peccadille de jeunesse du vicomte Scipion…