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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/151

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qu’un jeu pour moi… Ceci t’étonne, pauvre chérie ; je vais tout te dire… non sans regret… car tu devais toujours ignorer…

Puis, après une pause, Mme Wilson reprit avec orgueil :

— Et pourquoi rougirais-je… de t’avouer ce que l’amour maternel m’a inspiré de généreux ? Écoute-moi donc. J’avais quitté Paris, tu le sais, dans l’espoir de recouvrer en Angleterre des créances contestées ensuite de la mort et des fâcheuses affaires de ton père ; la somme que je réclamais était très-importante ; l’obtenir, c’était t’assurer une dot considérable ; et, par ce temps de cupidité, cela devait, selon moi, importer beaucoup au bonheur de ton avenir. À mon arrivée en Angleterre, le hasard me mit en rapport avec sir Francis Dudley, intéressé dans les réclamations que je venais soutenir… Loyauté chevaleresque, délicatesse exquise, esprit charmant, noble cœur, grand caractère, sir Francis réunissait tout ce qui peut commander l’estime et l’affection. Je dus le voir souvent pour défendre auprès de lui des intérêts qui étaient les tiens… Que te dirais-je, mon enfant ? À nos relations toutes sérieuses succéda une vive amitié… puis un sentiment plus tendre… dont j’étais heureuse et fière, car je le partageais, et je me sentais digne de l’homme qui me l’inspirait… Sir Francis Dudley était libre… je l’étais aussi… je ne te dis pas toute la part que ton avenir avait dans nos projets de mariage… Mais à quoi bon maintenant ces souvenirs ? — ajouta Mme Wilson avec un sourire mélancolique, — tout ceci n’est plus qu’un vain et heureux songe…

— Et pourquoi, ma mère, parler de ce passé comme d’un songe ? — dit Raphaële, aussi surprise que touchée de cette confidence.

Mme Wilson secoua tristement la tête ; et, comme si elle eût voulu échapper à des souvenirs pénibles, elle ajouta, en embrassant tendrement sa fille :

— Parlons de toi, chérie… Durant ce voyage, je recevais, tu le sais, chaque jour une lettre de toi ; tout à coup, tes lettres me manquent… la tante m’écrit ; par elle, la nouvelle de ta maladie m’arrive comme un coup de foudre… Je pars… j’arrive : tu étais mourante…

— Ô ma mère ! tu aimais… et tu es venue… je comprends maintenant le sacrifice que tu m’as fait !…

— Si je me suis dévouée pour toi, mon enfant, tu ne connais pas encore mon sacrifice… J’arrive… je te trouve mourante ; tu me fais l’aveu de ta folle passion… Éperdue, voulant te faire vivre à tout prix… je te promets de te marier à Scipion ; l’espoir de ce bonheur,