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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/153

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— Et ce changement soudain… comment est-il venu ?

— Parce que j’ai su me faire aimer du comte Duriveau, — dit simplement Mme Wilson.

— Aimer du comte Duriveau ! — s’écria Raphaële.

— Aimer… éperdument… car, après deux mois d’une cour assidue… il me suppliait d’accepter sa main, sa fortune… j’acceptai…

— Vous, ma mère ? — dit Raphaële avec stupeur.

— Mais à une condition… c’est que ton mariage avec Scipion serait célébré en même temps que mon mariage avec le comte…

Après un nouveau mouvement de surprise si profonde, que la jeune fille resta silencieuse, elle s’écria en se jetant au cou de Mme Wilson :

— Ah ! ma mère, je comprends tout maintenant… Je comprends le sacrifice douloureux, immense, que vous m’avez fait… Pour assurer mon mariage… vous avez renoncé à cet amour dont vous vous souvenez avec tant de bonheur et tant d’orgueil… vous allez épouser un homme que vous n’estimez pas… que vous haïssez peut-être… et c’est pour moi…

— Non, non, mon ange, détrompe-toi, — dit Mme Wilson afin de calmer les scrupules de sa fille, rassure-toi… je suis sincèrement attachée à M. Duriveau : n’a-t-il pas d’abord assuré ton bonheur ? cela ne lui mérite-t-il pas à jamais ma reconnaissance ?… Puis, — ajouta Mme Wilson avec un léger embarras, car le mensonge répugnait à cette âme loyale, — je te l’avoue, j’ai vu avec joie que mon influence sur le comte a été salutaire… ce qu’il y avait d’âpre, de dur dans son caractère, s’est effacé peu à peu… À son âge, vois-tu ? et surtout avec l’ardente énergie de son caractère et de ses passions, l’amour opère bien des prodiges… Rassure-toi donc sur mon sort, mon enfant. Quant à toi, maintenant, — ajouta Mme Wilson en embrassant sa fille avec ivresse, convaincue de l’avoir absolument tranquillisée, rassurée, — crois-tu trouver assez de garanties pour la sécurité de ton avenir dans ma volonté, dans celle du comte, enfin et surtout dans l’amour sincère que Scipion ressent pour toi, amour à cette heure indestructible, sacré… car de cet amour dépendent l’honneur d’une femme et l’honneur d’un homme ? Crois-tu enfin, pauvre ange, que si, comme je te le disais au commencement de cet entretien, j’ai pu l’impossible… en amenant le comte Duriveau à me demander ta main pour son fils, il ne me sera pas, à cette heure, facile de…

— Je te crois, je te crois, mère chérie ! — s’écria Raphaële en interrompant Mme Wilson.