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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/202

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— Oui, je la voyais chez sa tante, lorsque nous allions aux matinées de jeu de ce gros imbécile de Dumolard. Cet amour de pensionnaire me réveillait assez ; mais le mariage avec les trois millions, l’orphelinage et le grand nom, me plurent beaucoup, je consentis donc à me marier selon son désir ; ce qui ne m’empêcha pas, bien entendu, de continuer de faire ma cour à Raphaële Wilson… Tout à coup… tu tires la ficelle, et… changement à vue… le riche mariage devient impossible ; les trois millions de Mlle de Francheville d’Ormon se fondent en créances véreuses : la jeune fille a changé d’avis, son tuteur aussi… sornettes de ton invention… car tu ne voulais plus de ce mariage.

— Je t’assure…

— Tu veux être député ? Apprends à ne pas interrompre l’orateur ; tu répondras plus tard… Mlle de Francheville était en pension au Sacré-Cœur ; impossible de la voir, de rien savoir par moi-même. Je n’épousai donc pas, je n’en mourus point ; mais je restai convaincu que l’auteur de mes jours m’avait drôlement roué… dans son intérêt personnel, et qu’il s’était posé à mon endroit en Robert-Macaire, me laissant le rôle désobligeant de Gogo ou de Bertrand.

— Scipion !

— N’interrompez pas l’orateur… Peu de temps après la rupture de cette riche union, tu viens me reparler mariage, et tu me proposes… qui ? Raphaële Wilson : mon amante ! Fortune : absente ! naissance : banquière écartelée de Dumolard… Toi, me proposer un tel mariage… une fille obscure et sans fortune ; toi !!! je me dis : Je suis volé… Mais… dissimulons, — ajouta Scipion avec un accent de traître de mélodrame.

Le comte pâlit, une horrible angoisse lui brisa le cœur. Il dit à son fils, en tâchant de cacher ses sentiments :

— Continue…

— Pour la forme… je fis quelques objections : — Mon père, pourquoi rompre un mariage magnifique pour une si piètre union ? — Rassure-toi, ô mon fils ! tu n’y perdras rien ; je t’assure, en toute propriété, cinquante mille écus de rente, le tiers de ma fortune, le jour de ton mariage. — Cette générosité de l’auteur de mes jours, qui me donnait, après tout, ce qui était ou serait à moi, parut me toucher de reconnaissance et me décider. Je dissimule toujours ; et d’abord, comme je soupçonne la petite Wilson d’avoir manigancé dans tout cela, et qu’il ne me plaît pas d’être fait au même, je redouble de protestations d’amour. Je parle à Raphaële de notre pro-