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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/204

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— Le mot est joli… Le nom de la femme est : Basquine.

Le comte bondit comme s’il eût été mordu par un serpent ; l’indignation, le courroux, l’horreur éclatèrent à la fois sur ses traits jusqu’alors empreints d’une feinte cordialité.

— Il est donc vrai… Cette horrible créature dont vous avez pris à dîner la défense contre moi… vous la connaissez ?

— Depuis un mois, j’ai cet honneur… je ne voulais pas te dire cela ce soir devant tes électeurs.

— Ainsi, — s’écria le comte avec un redoublement d’effroi, — vous connaissez ce monstre de cupidité, de dépravation, de noirceur et d’hypocrisie…

— Jaloux… — dit Scipion en haussant les épaules ; — je l’aurais bien présenté… mais je te savais si amoureux…

— Et cette horrible créature… vous l’aimez, peut-être

— Comme un fou. — Et les traits charmants Scipion se colorèrent légèrement, ses grands yeux bruns rayonnèrent.

— Et ce que j’adore en elle n’est pas son merveilleux et double talent de danseuse et de chanteuse ; je laisse ces admirations aux frénétiques de notre avant-scène… ce que j’adore dans Basquine… le sais-tu ?… c’est ce que tu lui reproches ainsi que tant d’autres, mais, sans preuves : elle est trop superbement rouée pour en laisser ; ce que j’adore en elle, c’est sa dépravation enragée, son esprit audacieux, infernal, si admirablement caché par sa magnifique hypocrisie qui la fait passer pour un ange et lui ouvre le salon des femmes les plus prudes… des altesses et des impératrices… Eh bien ! à moi… à moi seul Basquine a avoué ses vices, parce qu’elle m’a jugé seul digne de les idolâtrer ! — dit Scipion avec un détestable orgueil.

— Le malheureux est perdu… cette horrible créature l’a pris par la vanité du vice, — murmura le comte épouvanté.

— Oui, ce que j’idolâtre en elle, — poursuivit Scipion avec une exaltation croissante, — c’est le contraste de cette âme noire comme l’enfer avec cette figure angélique, couronnée de cheveux blonds ; aussi, j’ai défendu ce soir Basquine contre les accusations, afin qu’elle conserve toujours cette auréole de vertu qui nous réjouit tant, et qui éblouit si fort les naïfs et les prudes… Comprends-tu maintenant mon idolâtrie pour ce démon ? Mais, hélas !… j’idolâtre platoniquement… car elle à remis l’heure du berger… l’heure du diable, a-t-elle dit, après mon mariage avec Raphaële, mariage dont