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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/212

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œil connaisseur, il inscrivait le nombre des animaux de la ferme : cette besogne accomplie, vint le tour des instruments aratoires aussi notés sur le carnet de l’homme aux lunettes ; puis ce furent les sacs de grain après leur pesée, puis enfin les fourrages qui restaient dans le grenier défoncé de la métairie ; le tout fut compté, sac à sac, botte à botte, sous la surveillance de cet homme, qui n’était autre que M. Herpin, un des gens du roi, à la fois expert et huissier à Salbris, assisté de son clerc, tous deux se préparant, par une estimation approximative, à la saisie de ce qui appartenait à maître Chervin, métayer du Grand-Genévrier. Une grande affiche jaune, flottant au gré du vent, clouée sur les débris de la porte de la métairie, annonçait que cette vente, par autorité de justice, aurait lieu à ladite métairie le dimanche suivant, à l’issue de la messe.

L’homme du roi ayant terminé l’évaluation des modiques valeurs que renfermait la métairie, se disposait à entrer chez maître Chervin le fermier, lorsqu’une femme âgée, misérablement vêtue, au visage pâle, aux yeux rougis par les larmes, descendit précipitamment les quelques pierres inégales et moussues qui conduisaient à la porte de la chambre du fermier ; alors, timide, suppliante s’approchant de l’huissier, elle lui dit en joignant les mains et lui barrant presque le passage :

— Mon cher bon Monsieur… je vous en prie…

— Eh bien, quoi ? Encore des jérémiades ? des pleurs ? — reprit l’homme du roi avec une brusque impatience, — Que diable voulez-vous que je fasse à cela, moi ? Vous devez votre fermage, vous ne pouvez pas payer, M. le comte vous fait saisir et vous renvoie de la ferme, c’est son droit.

— C’est vrai, mon cher bon Monsieur, c’est vrai… — répondit la pauvre femme, — nous ne pouvons pas payer… on nous saisit… on nous renvoie… je le veux bien.

— Vous le voulez bien ? merci de la permission. Vous ne le voudriez pas, ce serait tout de même. Avec ça que M. le comte est un gaillard à se laisser intimider. Il ne connaît que la loi et son droit… Il veut payer ce qu’il doit, il veut qu’on lui paye ce qui lui est dû, et il a raison.

— Hélas ! mon Dieu… je le sais bien, qu’il a raison, puisqu’on nous saisit et qu’on nous chasse.

— Eh bien ! alors, laissez-moi finir mon inventaire, — dit l’homme du roi en faisant un geste pour repousser la femme qui l’empêchait de monter l’escalier, — il faut que je passe à l’estima-