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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/217

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et au-dessus, sur une planche moisie, quelques poteries égueulées ; à cela faisait face une grande armoire de noyer ; enfin, au plus profond de la chambre se dressait un lit d’une énorme hauteur composé d’une paillasse, épaisse de trois pieds, et d’un mince matelas de laine brute ; un banc de bois, une table boiteuse, quelques escabeaux composaient l’ameublement de ce logis, faiblement éclairé par une chandelle placée dans une vieille lanterne treillissée de fer, car il faisait nuit.

Telle était la demeure de maître Chervin… le fermier du riche comte Duriveau, telle est généralement la demeure des fermiers de Sologne. Le métayer semblait dormir, tandis que sa femme, agenouillée devant le feu, tâchait de le faire flamber en soufflant de toutes ses forces sur les tisons fumants. N’y pouvant parvenir, elle s’accroupit devant le foyer, le menton sur les genoux, tournant de temps en temps la tête du côté du lit où sommeillait son mari.

Soudain maître Chervin poussa un long et douloureux gémissement en se retournant sur sa couche humide et dure. Il avait soixante ans environ, une physionomie honnête et douce ; son teint était pâle et plombé, ses yeux creux, ses lèvres blanches ; sa barbe grise, non coupée depuis longtemps, pointait rude et drue sur sa peau rugueuse.

Sa femme, l’entendant se plaindre et s’agiter, courut à son lit et lui dit :

— Tu ne dors donc pas, mon pauvre homme ?

— Hélas ! mon Dieu ! la mère… je rêvais du Monsieur du roi. Est-il parti ?

— Oui, il voulait monter ici pour noter nos meubles… mais je l’ai tant prié de ne pas te réveiller, qu’il a écrit nos meubles comme je lui ai dit, et il s’en est retourné.

— C’est donc fini, c’est donc fini, — murmura le métayer en gémissant, — plus rien… Qu’est-ce que nous allons devenir ?

— Hélas ! mon Dieu ! je ne sais pas, mon pauvre homme.

— Et si faible… les fièvres m’ont miné. Ah ! c’est de ma faute aussi… c’est de ma faute !

— Ta faute ?

— Qui, quand, l’an passé, voyant les belles récoltes que j’avais eues en écoutant les bons conseils de cette pauvre petite Bruyère, le régisseur de M. le comte m’a demandé un pot-de-vin et une augmentation, parce que mon bail était fini, je n’aurais pas dû renou-