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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/79

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— Toi, pas si bête que de quitter l’étable la nuit !

— Non, elle, pas si bête,

Ajouta le voisin de gauche en embrassant à son tour et non moins familièrement, non moins plantureusement, la Robin, sans paraître nullement exciter la jalousie de Simon, pendant que le petit vacher restait indifférent aux grossières plaisanteries qu’il entendait ; car nous n’entreprendrons pas de rapporter la conversation naïvement cynique dont les baisers retentissants, donnés à la fille de ferme par les deux charretiers, furent le signal, conversation qui se prolongea jusqu’à ce que la nuit fût à peu près venue.

Alors ce qui restait de caillé et de blé noir dans la terrine fut placé par le petit vacher en dehors de l’étable, sur une auge qu’il recouvrit d’un seau : c’était le souper de Bruyère, dont le retard à paraître étonnait un peu, mais n’inquiétait pas les gens de la ferme. Comment s’inquiéter d’une créature charmée ?

Les portes délabrées de l’étable fermées, les deux charretiers, la fille de ferme et le petit vacher, se couchèrent pêle-mêle sur la même litière, vêtus comme ils l’étaient, se pressant les uns contre les autres pour avoir chaud, celui-ci se couvrant avec un lambeau de couverture, celui-là avec une mauvaise roulière ; car lits, draps et couvertures sont choses généralement inconnues aux races agricoles.

Quant aux incidents obscènes que couvrent souvent de leur ombre ces longues nuits d’hiver ainsi passées dans une métairie solitaire, ou les chaudes nuits d’été, alors qu’au temps de la moisson les granges regorgent de moissonneurs et de moissonneuses, gîtant pêle-mêle, femmes, hommes, filles, enfants, sur la même paille, pourquoi s’en étonner, ou, plutôt… de quel droit s’en étonner ?

Voici des créatures abandonnées, élevées sans plus de souci, sans plus de sollicitude que les animaux des champ :, parquées entre elles sans distinction d’âge ou de sexe, comme des bêtes au retour du labour ou du pâturage : de quel droit leur demander d’autres mœurs que celles des bêtes ? de quel droit exiger l’inassouvissement de leurs ardeurs brutales, le respect de l’enfance et la dignité de soi ?

Aussi, combien de ces malheureux, livrés à eux-mêmes et aux funestes traditions de cette existence de misère et d’abrutissement, déshérités de tout ce qui cultive l’esprit, épure le cœur et agrandit l’âme, vivent comme ils le peuvent, et forcément dans la fange où on les fait croupir !

« Mais, — diront les optimistes et les repus, la pire espèce