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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/24

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

il continua sa route sans vouloir écouter Roberval, et rentra mécontent à Saint-Malo, où sa présence est constatée le 16 octobre de cette année.

Roberval n’était pas seul, il s’en faut. Sur trois grands navires pourvus aux dépens du roi, il amenait deux cents personnes, tant hommes que femmes, soldats, matelots, gens du commun en partie tirés des prisons[1] du royaume. Avec lui s’étaient embarqués des gentilshommes, parmi lesquels étaient les sieurs de Saine-Terre ou Senneterre[2], son lieutenant ; de l’Espinay, son enseigne ; le capitaine de Guinecourt, MM. de Noirefontaine, de la Mire, Villeneuve, Talbot, et le pilote Jean Alphonse. Ils avaient quitté la Rochelle le 16 avril.

Roberval se trouva devant Charlesbourg au mois de juillet. Il eut la précaution de fortifier davantage ce poste, qui allait devenir le pivot de ses opérations ; on en changea aussi le nom en celui de France-Roi. La saison d’été étant trop près de finir pour espérer une récolte cette année, deux vaisseaux se mirent en route, le 14 septembre, avec mission de rapporter de France, le plus tôt possible, des vivres et autres secours. Celui qui commandait ces navires, avec injonction à lui faite par Roberval de rester en France, était Senneterre, son propre lieutenant, mauvais sujet dont l’exemple était pernicieux même pour les misérables dont se composait la jeune colonie.

La disette se fit bientôt sentir, et, pour surcroit de malheur, dans le cours de l’hiver, le scorbut enleva cinquante personnes. Cartier, instruit par l’expérience, avait dû prévoir ce triste état de choses lorsqu’il se séparait de Roberval sans lui dire adieu. François Ier ne paraît pas avoir reproché sa démarche au capitaine malouin ; mais Roberval dût la ressentir, toute approuvable qu’elle fût.

Le « petit roi de Vimeu » avait à lutter contre les Sauvages, le climat, le mal-de-terre, la famine et la conduite de ses gens. Ceux-ci composaient une troupe parfaitement indisciplinée. Pour maintenir l’ordre, il fallait recourir au fouet, au cachot, à la potence. Des hommes et des femmes furent fustigés, un nommé Michel Gaillon subit le supplice de la corde, « au moyen de quoi ils vécurent en paix et tranquillité. » Si ces commencements de colonie eussent réussi, observe M. l’abbé Ferland, l’on aurait continué le même système, et Dieu sait quel horrible état de société en serait résulté.

André Thevet, qui a beaucoup connu Roberval, nous le peint d’ailleurs comme un être cruel : « Si quelqu’un défaillait, soigneusement il le faisait punir. En un jour, il en fit pendre six, encore qu’ils fussent ses favoris, entre autres un nommé Galloys, puis Jehan de Nantes. Il y en eut d’autres qu’il fit exiler ayant les fers aux pieds, pour avoir été trouvés en larcin d’objets qui vaudraient cinq sous tournois. » Le même écrivain nous a raconté l’affreuse histoire de Marguerite, nièce de Roberval, abandonnée par lui sur une île déserte. Marguerite d’Angoulème, sœur de François Ier, qui tenait ce récit de bonne source, en fit un roman dès 1549.

  1. M. Harisse (Bibliographie de la Nouvelle-France, p. 5) dit que, le 1er mars 1542, Roberval comparut devant le parlement de Rouen afin de réclamer certains criminels qui devaient faire partie de son expédition.
  2. Noble homme Paul d’Auxilhon, écuyer, seigneur de Sanneterre, en la sénéchaussée de Carcassonne, et demeurant au dit lieu de Sanneterre.