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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/51

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Depuis plus d’un siècle déjà, les navigateurs français, ainsi que les Espagnols, pratiquaient de gré ou de force des enlèvements de Sauvages. Les chroniques de Dieppe et de Rouen citent des cas remontant à une époque même antérieure à la découverte de l’Amérique ; car il paraît certain que le Brésil, entre autres pays, fut visité longtemps avant Christophe Colomb par les coureurs de mer normands, qui en gardaient le secret pour ne pas trahir la provenance des bois, des épices, des perroquets et de diverses marchandises dont ils faisaient commerce avec le reste de l’Europe. Plusieurs historiens racontent que, dans les premières années de la découverte de l’Amérique du Sud, les Espagnols et les Portugais y étaient tués et mangés en mettant pied à terre. Ceux qui parlaient français n’étaient pas maltraités. Les chefs indigènes prenaient plaisir à faire un voyage en France, et invitaient leurs parents à les imiter. On vit des Sauvages figurer dans des fêtes publiques en Normandie alors que Jacques Cartier n’était encore qu’un enfant. Le capitaine Thomas Aubert, de Dieppe, qui visita les abords du golfe Saint-Laurent en 1508, ramena des Sauvages « qu’il fit voir avec admiration et applaudissement à la France, » dit le Père Biard. Le chœur de l’église de Dieppe renferme une sculpture représentant des Sauvages, ou de cette époque, ou plus anciens encore, et qui a donné lieu à de savantes dissertations.

Pontgravé avait pour système de se créer des amitiés parmi les naturels du Canada et de se servir des plus intelligents à titre d’interprètes. L’automne de la même année (1603), quand il reprit le chemin de la France, on lui confia un jeune garçon qui voulait voir la ville où il y a autant de monde que de feuilles sur les arbres de la forêt. Champlain se fit donner en même temps une femme iroquoise que les Gaspésiens voulaient manger. Quel contraste entre l’affection des Français pour ces pauvres misérables et les brutalités sans nom des autres navigateurs européens !

C’est à Tadoussac, en 1603, que commença l’alliance si fameuse de Champlain avec les races algonquines. Dans un chapitre spécial nous parlerons des Sauvages primitifs du Canada ; en attendant, la situation de Champlain et celle de Pontgravé, relativement aux tribus du bas Saint-Laurent, est aussi facile à expliquer que la conduite de ces deux hommes de sens provoque notre admiration.

Ce n’était plus ces aventuriers d’Europe, oppresseurs et bourreaux des peuplades qu’ils rencontraient ; c’était des chrétiens désireux de se faire des amis partout, et se pliant, sans hésitation, aux mœurs et coutumes du pays qu’ils abordaient. Ces hommes qui fumaient le calumet avec les chefs indigènes et qui mangeaient de leur cuisine sans faire la grimace, étaient infiniment supérieurs aux conquérants bardés de fer qui bravaient les flèches des guerriers de Mexico et les lances des soldats péruviens. Plus près de l’idée chrétienne aussi étaient ces compagnons de Champlain, ces humbles interprètes normands qui expliquaient aux Sauvages les vérités de la religion. Si le désir de conserver son alliance avec les bandes qu’il fréquentait le plus souvent au nord du grand fleuve a pu induire Champlain, plus tard, à vouloir leur donner la suprématie sur une nation éloignée (les Iroquois), il n’en faut pas conclure qu’il agissait à la légère. Après deux siècles et trois quarts révolus, il nous plait de