Aller au contenu

Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’année précédente. Il désire profiter du départ de leurs bâtiments pour revoir son pays. De simples barques chargées de morues ne lui font ni honte ni chagrin. Cette fois, il ne songe pas à les capturer et à les faire vendre aux enchères à son bénéfice. Le plus comique de l’affaire, c’est que les pêcheurs, terrifiés par les ordonnances de Sa Majesté, s’éloignaient autant que possible de la baie Française (la baie de Fundy[1]), où était logé ce pirate à patente royale.

Force fut donc à de Monts d’attendre.

Il attendit jusqu’au 15 juin (1605), moment où Pontgravé arriva sur une chaloupe, portant avis que son vaisseau était mouillé à six lieues de là, tout prêt à relever de sentinelle la troupe des hivernants, car il avait avec lui quarante hommes. « Ce fut au grand contentement d’un chacun, et canonnades ne manquèrent pas à l’abord, ni l’éclat des trompettes. » Le lendemain, le vaisseau se montra.

Pontgravé fut fort désappointé. Pensant revoir une colonie prospère et vigoureuse, il ne rencontrait que fiévreux, souffreteux et gens désespérés, qui n’avaient pas même préparé de logements pour lui et sa suite.

Sainte-Croix était vouée à l’abandon. Ce furent Pontgravé et Champlain qui choisirent définitivement Port-Royal (maintenant Annapolis), célèbre dans les guerres de l’Acadie. Après que la nouvelle demeure fût préparée, à l’automne, le sieur de Monts se délibéra de repasser en France, laissant Pontgravé pour son lieutenant, « lequel ne manqua de promptitude, selon son naturel, à faire et parfaire ce qui était requis pour loger soi et les siens… Le dit de Pont n’était pas homme pour demeurer en repos, ni pour laisser ses gens oisifs. »

Nous le répétons, on ne tire rien qui vaille d’un faux principe. Le commandeur de Chaste entendait son devoir autrement que le sieur de Monts. En dépit de l’activité de Champlain et de Pontgravé, la situation ne s’améliorait pas, car il eût fallu changer les hommes qui composaient l’établissement de Port-Royal.

Ce joli commencement de colonie avait un autre côté assez étrange. Écoutons ce qu’en dit Champlain :

« Deux religions contraires ne font jamais un grand fruit pour la gloire de Dieu, parmi les infidèles que l’on veut convertir. J’ai vu le ministre et notre curé s’entrebattre à coups de poing sur le différend de notre religion. Je ne sais pas qui était le plus vaillant et qui donnait le meilleur coup, mais je sais très-bien que le ministre se plaignait quelquefois au sieur de Monts d’avoir été battu ; et ils vidaient en cette façon les questions de controverse. Je vous laisse à penser si cela était beau à voir. Les Sauvages étaient tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; et les Français, mêlés selon leurs diverses croyances, disaient pis que pendre de l’une et de l’autre religion. »

Comme bénéfice clair, Champlain s’est souvenu, en temps et lieu, qu’il n’était pas possible de réussir avec des éléments si disparates.

  1. Fond de la baie. Il paraît que les Anglais ont transformé ces mots en baie de Fundy.