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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/98

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ce poste devenait le point de repère des expéditions envoyées jusqu’au centre de l’Amérique. Si la colonie était attaquée par des forces militaires, son clef-lieu, rendu imprenable par la nature, la sauvait du péril. Durant trois quarts de siècle qu’ils nous firent la guerre, les Iroquois n’osèrent s’en approcher, et, lorsque des troupes européennes voulurent s’emparer du pays (1690), les canons de Québec mirent leurs projets à néant. Cette forteresse fut « la sentinelle avancée du grand empire français que rêva Louis XIV, et qui devait se prolonger depuis le détroit de Belle-Île jusques au golfe du Mexique. » (Ferland.)

Après Jacques Cartier, il n’y eut rien de pompeux dans les démarches des individus qui s’occupèrent de la Nouvelle-France. On ne dira certainement pas que la cour y tenait en aucune sorte. Les rois étaient plutôt ennuyés qu’édifiés des suppliques des marchands et des théories de quelques hommes à projet. C’est dans l’ombre, nous voulons dire dans une condition très humble, que cette grande idée vivait et se fortifiait. Qu’on se reporte par la pensée à l’état de notre pays, lorsque les Français y abordèrent. La pêche et la chasse pouvaient attirer quelques gens, sans doute : on va chercher la fortune partout et sous n’importe quelle forme ; mais se rend-on compte du courage nouveau qu’il fallut à Champlain et à ses associés pour tenter l’entreprise de la colonisation de cette contrée âpre, stérile en apparence, si éloignée, si froide et si barbare ? Et quels étaient ceux qui marchaient dans cette voie étrange ? De simples particuliers, patronés avec maladresse par des dignitaires imbus de mille préjugés. Ils n’avaient pas même, en payant bien cher, la certitude que les « hivernants, » comme on appelait les hommes à gages, accepteraient de bon cœur les fatigues et les désagréments de leur courte résidence sur cette plage ingrate et si mal notée. Les origines du Canada sont toutes entières dans l’énergie d’une petite phalange de pionniers, autrement dit, d’habitants, qui parvinrent à se mettre au dessus des revers de fortune et braver l’avenir avec leurs seules ressources.

Quelques jours après son arrivée à Québec, Champlain courut un danger sérieux, dont la nature ne laisse pas que de nous donner à réfléchir sur le caractère des hommes placés sous ses ordres, lesquels étaient évidemment composés, en partie, d’aventuriers, plus aptes à exécuter à la hâte quelques gros ouvrages qu’à former des colons. Aussi, était-ce à titre de manœuvres et ouvriers de circonstances qu’on les utilisait.

La conduite des « Basques ou Espagnols, » à Tadoussac, réveilla peut-être les penchants criminels d’un certain nombre de ces hommes ; toutefois, leur chef, un serrurier, nommé Jean Duval, avait parlé, dès le départ de France, d’organiser un complot pour s’emparer de l’habitation du Canada et de tout l’outillage, aussitôt qu’il se présenterait un moment propice. Les travaux de Québec étaient à peine commencés que Duval « suborna quatre de ceux qu’il croyait être des plus mauvais garçons, » et ils s’entendirent pour gagner les autres à leur dessein, afin d’agir avant le retour des gens restés à Tadoussac. Le plan d’opération consistait, soit à se servir du poison, soit à donner, la nuit, une fausse alarme, et tirer sur Champlain lorsqu’il se montrerait au dehors. Le jour même où ceci fut décidé, arriva une barque de Tadoussac avec le pilote de Champlain, le capitaine Testu. Après le déchargement, comme