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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/212

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Les habitants ne seront-ils pas contraints de diminuer le nombre de leurs moutons, et de livrer une partie de leurs pacages au régime forestier ? Leurs cultures ne seront-elles pas troublées par des sujétions nouvelles ? Je ne parle pas des mille contrariétés, que tant de règlements nouveaux vont jeter au milieu de leurs moyens d’existence, consacrés par des habitudes séculaires. — Toutes ces charges, pour n’être pas au-dessus de leurs forces, n’en sont pas moins réelles ; et le poids leur en paraîtra d’autant plus lourd, qu’il n’est allégé par aucune jouissance immédiate, et que les générations futures en connaîtront seules les excellents fruits.

Qu’on ne leur demande donc rien de plus. Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient faire, et là s’arrêtent leurs ressources. — Si l’on veut dès lors que ces travaux se fassent, il faut puiser dans d’autres caisses de quoi subvenir à la dépense ; sinon, qu’on se résigne à voir le département, abandonné à lui-même, tomber de ruine en ruine jusque vers le dernier terme de la misère et de la dépopulation.

Je crains que beaucoup de personnes, qui liront ces pages, et qui verront la ruine du pays, remise à tout instant sous leurs yeux, comme l’infaillible conséquence de l’état actuel des choses, ne s’avisent de considérer cette conclusion comme exagérée. — C’est là une impression que je ne puis m’empêcher de combattre, car elle fermerait l’esprit à tout ce que je pourrais proposer.

Sans doute, au premier abord, il doit sembler étrange qu’une calamité aussi générale que celle que j’ai décrite, et portant avec elle de si funestes conséquences, soit demeurée à peu près ignorée au dehors, et comme ensevelie dans le pays même sur lequel elle pèse. On est accoutumé à estimer la vérité et l’importance des choses par l’éclat avec lequel elles se produisent à l’extérieur, ou, pour me servir d’un terme consacré, par leur retentissement. Mais c’est là une fausse mesure.

Il y a de certains départements où la plus petite incommodité soulève aussitôt un concert de clameurs. Là, il suffit de quelques lieues de route boueuse pour enfanter un gros sujet de plaintes. La presse locale s’en empare ; elle le gonfle, le lance au dehors, et telle niaiserie, colportée avec pompe, va réveiller par toute la France l’attention publique. L’administration elle-même, les yeux tendus sans relâche vers ces pays de difficile humeur, s’y montre plus libérale et plus empressée.

Il est d’autres contrées, au contraire, qui vivent retirées à l’écart et loin du bruit, qui n’ont pas de presse ni de prôneurs, et dont personne ne