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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/270

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Les canaux d’arrosage sont fréquemment tracés par les ingénieurs des ponts ; et leur établissement n’est pas toujours une chose facile. — Quand un torrent se présente sur la ligne d’un canal, on a deux partis à prendre. D’abord on peut faire un canal en bois qu’on élève à l’aide de palées au-dessus du lit du torrent ; ce qui forme un véritable pont-aqueduc. Mais si celui-ci coule à fleur de sol, ou si même, au lieu d’être encaissé, son lit est bombé, on creuse au-dessous des déjections, et en travers du lit, un aqueduc : ce qui fait une espèce de tunnel, qui n’a plus rien à redouter des exhaussements futurs.

Un soin important dans l’établissement de ces canaux, est de bien assurer leur prise. Quand celle-ci se fait dans les parties supérieures d’un torrent, où le lit tend sans cesse à s’approfondir, il faut le maintenir à un repère stable, à l’aide d’un barrage.

La pente des canaux varie ordinairement d’un demi-centimètre à un centimètre par mètre. Cette inclinaison est forte, quand on la compare à celle qui est usitée dans les autres pays. Mais elle a cet avantage de procurer le plus grand volume d’eau possible avec la plus petite section possible de canal : ce qui rend les travaux plus économiques, sans rétrécir leur sphère d’utilité. En même temps, on évite les dépôts, et partant, les soins et les dépenses du curage. Enfin, ces grandes pentes ont peu d’inconvénients dans un pays où les pentes générales des vallées sont très-fortes, et où les canaux peuvent, même avec des inclinaisons descendantes d’un centimètre par mètre, atteindre des lieux très-élevés.

Les canaux traversent souvent des casses. Il est curieux de voir des terrains aussi meubles et aussi perméables, traversés par des cours d’eau artificiels, sans donner aucun indice de filtrations. Il faut expliquer ce fait par la rapidité avec laquelle les eaux passent sur le sol : ce qui diminue les pressions latérales, et par conséquent la tendance aux filtrations. En même temps, cette grande vitesse amène sur les mêmes points du périmètre mouillé, de grandes masses d’eau, toujours plus ou moins chargées de limon, et qui, se renouvelant sans cesse, doivent finir par boucher toutes les fuites. C’est ainsi qu’on rend les canaux de navigation étanches, en versant dans leurs eaux du sable fin.

On s’est servi, dans l’ouverture de plusieurs canaux, d’un procédé particulier, afin de les rendre étanches. On a étendu sur le fond du lit une couche de feuilles de fayard (hêtre), qui a été recouverte ensuite par un lit de terre graveleuse, pour empêcher que les feuilles ne fussent déchirées ou emportées par le courant. Ce procédé a réussi. On peut l’expliquer, lorsqu’on réfléchit que la décomposition de ces feuilles doit former de l’ulmine, substance très-avide d’eau, qui, après s’en être saturée, est capable d’empêcher les filtrations par une action capillaire semblable à celle des éponges ou de l’argile.

Le territoire de la ville de Gap, dont le sol, l’exposition et le climat sont fort bons, est condamné à une demi-stérilité, par le manque d’arrosage. Les habitants ont plusieurs fois conçu le dessein d’y faire arriver le Drac. Pour comprendre la grandeur de ce projet, il faut savoir que le Drac coule dans une vallée parallèle à celle de la Durance, à laquelle appartient le territoire de Gap ; qu’ainsi, il ne s’agissait rien moins que de transporter les eaux d’une vallée dans l’autre, en leur faisant franchir une ligne de faîte très-élevée et très-abrupte. Ce projet a été étudié par plusieurs ingénieurs. Il exigerait une percée souterraine, de 1 500 mètres de longueur. Cette circonstance, l’incertitude du succès, le chiffre énorme des dépenses, ont toujours fait reculer les habitants, et le tracé, repris plusieurs fois, n’a