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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/299

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Tel est le système développe par M. Dugied dans son mémoire sur le boisement des Basses-Alpes. — Ce travail n’a produit aucun fruit. Il n’a pas ralenti un seul instant les abus. L’administration ne s’est pas réveillée de son indifférence, et la dévastation des torrents, et les misères qu’elle traîne à sa suite, et la ruine quotidienne de la contrée se poursuivent comme par le passé devant ses yeux impitoyables.

Les efforts de M. Dugied ont même été peu appréciés ici, et le pays en faveur duquel il élevait le premier la voix, n’a pas été plus juste à son égard que l’administration de la restauration, qui le destitua de la préfecture des Basses-Alpes qu’il n’occupait que depuis un an, et où il aurait probablement rendu au pays d’éminents services. Son travail a excité des critiques railleuses. On a renvoyé l’exécution de son projet aux princes des Mille et une Nuits.

Je confesse que le merveilleux du projet de M. Dugied m’échappe tout à fait. Je n’y vois qu’une opération assez simple dans le fond, qui ne fait que développer sur une vaste échelle ce qui est pratiqué tous les jours par de simples particulier ; une opération dont l’exécution est évidemment possible, et dont la dépense n’a rien de surprenant, quand je la compare à celles que l’administration confie chaque année à l’ingénieur du plus petit arrondissement. Certainement il lirait un roman bien autrement prodigieux que le prétendu roman palingénésique de M. Dugied, celui qui prendrait la peine de feuilleter, en le méditant, le compte rendu des 120 millions de travaux exécutés chaque année sur tous les points de la France, sous la direction des ponts et chaussées ! La mer emprisonnée dans les ports, des percées à travers les rochers, les fleuves domptés par des digues ou par des ponts, des phares dressés sur les écueils au milieu des tempêtes, des canaux à point de partage, transportant les bateaux par dessus le faîte des montagnes ; voilà, je crois, des travaux plus difficiles, plus coûteux, plus merveilleux que le reboisement de quelques coins de montagnes. Et que sera-ce donc si l’on vient jamais à discuter à la Chambre, sérieusement et comme des gens prêts à mettre la main à l’œuvre, l’énorme budget d’un milliard et demi que certains économistes nous disent nécessaire pour l’établissement d’un réseau complet de chemins de fer, cet autre prodige, qui aurait semblé fabuleux il n’y a pas trente ans ? — Quand on multiplierait par 10, par 100 les chiffres de M. Dugied, on n’arriverait pas encore à des dépenses comparables à celles d’un grand nombre de nos travaux publics, qui sont dix fois, cent fois moins utiles, et qui ne nous effrayent pas, habitués que nous sommes à leur ouvrir depuis longtemps nos bourses.

Entreprendrait-on sérieusement de nier la possibilité du reboisement proposé par M. Dugied ?… Mais les preuves qui établissent cette possibilité sont trop nombreuses, trop palpables. — Tout le monde convient que les Alpes étaient anciennement boisées. Mais cela même est une preuve que les bois peuvent encore une fois y reparaître. Les premières forêts que la nature a jetées sur ces montagnes ont eu à s’emparer d’un sol plus nu, plus stérile, plus bouleversé que le sol actuel. Et si la végétation a déjà triomphé une première fois dans cette lutte contre les agents destructeurs, pourquoi succomberait-elle aujourd’hui ? On dira qu’elle était aidée par le temps ! — Assurément. Mais aujourd’hui elle sera aidée par l’homme, et ce secours, à mon sens, vaut bien celui de quelques siècles. — Il y a çà et là, dans le lit de la Durance, des conquêtes faites sur les eaux par le seul effort de la nature. De longs siècles ont à peine suffi pour y assurer la végétation, et quelques parties en demeurent éternellement stériles. Quand l’homme entreprend de pareilles conquêtes, il les achève en trois ans :