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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/61

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d’eau régulier, qui s’écoule devant elle vers l’aval. — Elle doit donc atteindre successivement tous les points de ce courant ; elle en absorbe les eaux quelle entraîne avec elle, et qu’elle assimile à sa propre masse. Dans cette course, son volume s’enfle, en raison de la distance parcourue ; et lorsqu’elle débouche dans la vallée, elle arrive chargée de toute la masse d’eau répandue dans le lit du torrent, depuis sa naissance jusqu’à sa sortie de la gorge. C’est en réalité la masse entière du torrent, amoncelée et concentrée instantanément en une seule lame d’eau.

Ce phénomène est identiquement celui des avalanches, à cette différence près que l’eau, fluide dans le premier cas, est à l’état de neige dans le second. — On comprend, par cette explication, le peu de durée de certaines crues. Par exemple, une heure après l’événement de Chaumaleron, cité plus haut, le lit était à sec, comme il était avant.

Un autre fait non moins singulier est celui de l’ouragan qui précède les torrents. Tâchons aussi de l’expliquer.

Tous les exemples d’ouragan que j’ai pu recueillir se rapportent à des crues d’orages survenues pendant les chaleurs lourdes de l’été. — Supposons que, par un de ces temps embrasés, si communs, à cette époque, dans cette partie des Alpes, une pluie, une nuée, une trombe s’abaisse sur le bassin de réception : elle verse immédiatement dans toute l’étendue de cette région, une grande masse d’air froid. Celui-ci, spécifiquement plus lourd que le reste de l’atmosphère, ne peut ni s’élever ni s’étendre, parce qu’il est emprisonné dans l’espèce d’entonnoir qui constitue toujours la forme du bassin. Il s’échappe alors par la gorge, suivant la ligue de plus grande pente, comme doit le faire tout fluide, précipité au fond d’un milieu dont la densité est moindre. Le phénomène de cet écoulement devient en tout point semblable à celui de l’eau.

Mais voici des causes qui doivent en accélérer prodigieusement la vitesse. — La colonne d’eau, qui tombe dans le bassin de réception, entraîne avec elle un grand volume d’air interposé, qu’elle refoule avec violence dans le goulot. En même temps, elle ne cesse pas de peser de tout son poids sur la colonne d’air qui est engouffrée dans la gorge, comme dans un canal fermé. Il y a là une double action, dont l’énergie est extrême : on en prend une idée, lorsqu’on la compare à celle qu’exercent les trombes d’eau, qui servent de machines soufflantes aux usines établies dans les montagnes. Il faut se figurer que l’air sort par la gorge du torrent comme par le tuyau d’un soufflet de forge gigantesque. Dès lors il n’est plus étonnant qu’il