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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 11, 1904.djvu/151

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LE RÉGIME MODERNE


renonce à la propriété, du moins à celle qui est pleine et complète[1], à l’usage arbitraire de son bien, à la jouissance personnelle de sa chose, ce qui le conduit à vivre en pauvre, à se priver, à peiner, puis au delà, jusqu’à jeûner, se macérer, contrarier et détruire en soi-même tous les instincts par lesquels l’homme répugne à la souffrance corporelle et se porte vers le bien-être physique. Par le vœu d’obéissance, il livre toute sa personne à une double autorité, l’une écrite, qui est la règle, l’autre vivante, qui est le supérieur chargé d’interpréter, appliquer et faire observer la règle ; sauf le cas inouï où les injonctions du supérieur seraient expressément et directement contraires à la lettre de cette règle[2], il s’interdit d’examiner, même dans son for intérieur, les motifs, la convenance, l’opportunité de l’acte qui lui est prescrit ; il a d’avance aliéné ses volontés futures, il abandonne le gouvernement de lui-même ; désormais son moteur interne est hors de lui et en autrui. Par suite, les initiatives imprévues et spontanées de son libre arbitre disparaissent de sa conduite, pour faire place à un ordre prédéterminé, obligatoire et fixe, à un cadre enveloppant dont les compartiments rigides enserrent l’ensemble et les détails de sa vie, à la distribution anticipée de son année, semaine par semaine, et de sa journée, heure par heure, à la définition impérative et circonstanciée de toute son action ou inaction, physique ou mentale, travail et loisir, silence et paroles,

  1. Prælectiones juris canonici, II, 264 à 267.
  2. Ib., II, 268.