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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 11, 1904.djvu/28

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L’ÉGLISE


le sien, mais encore il est bien plus vaste et plus profond. Par delà la patrie temporelle et le court fragment d’histoire humaine que perçoivent les yeux de la chair, elles embrassent et présentent aux yeux de l’esprit le monde entier et sa cause suprême, l’ordonnance totale des choses, les perspectives infinies de l’éternité passée et de l’éternité future. Par-dessous les actions corporelles et intermittentes que la puissance civile prescrit et conduit, elles gouvernent l’imagination, la conscience et le cœur, toute la vie intime, tout le travail sourd et continu dont nos actes visibles ne sont que les expressions incomplètes et les rares explosions. À vrai dire, même lorsqu’elles se limitent volontairement et de bonne foi, leur domaine n’a pas de limites ; elles ont beau déclarer, si elles sont chrétiennes, que leur royaume n’est pas de ce monde : il en est, puisqu’elles y sont ; maîtresses de dogmes et de morale, elles y enseignent et y commandent. Dans leur conception totale des choses divines et humaines, l’État a sa place, comme un chapitre dans un livre, et ce qu’elles disent dans ce chapitre est pour lui d’importance capitale. Car elles y écrivent ses droits et ses devoirs, les devoirs et les droits de ses sujets, un plan plus ou moins complet d’ordre civil. Ce plan avoué ou dissimulé, vers lequel elles tournent les préférences de leurs fidèles, finit par sortir spontanément et invinciblement de leur doctrine, comme une plante de sa graine, pour végéter dans la société temporelle, pour y étendre ses frondaisons et y plonger ses racines, pour y ébranler ou consolider les institu-