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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/113

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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


diverses pour lui faire rendre toutes les flammes, tous les pétillements et tous les parfums, voilà son premier instinct. « La vie, dit-il encore, est un enfant qu’il faut bercer jusqu’à ce qu’il s’endorme. » Il n’y eut jamais de créature mortelle plus excitée et plus excitante, plus impropre au silence et plus hostile à l’ennui[1], mieux douée pour la conversation, plus visiblement destinée à devenir la reine d’un siècle sociable où, avec six jolis contes, trente bons mots et un peu d’usage, un homme avait son passeport mondain et la certitude d’être bien accueilli partout. Il n’y eut jamais d’écrivain qui ait possédé à un si haut degré et en pareille abondance tous les dons du causeur, l’art d’animer et d’égayer la parole, le talent de plaire aux gens du monde. Du meilleur ton quand il le veut, et s’enfermant sans gêne dans les plus exactes bienséances, d’une politesse achevée, d’une galanterie exquise, respectueux sans bassesse, caressant sans fadeur[2] et toujours aisé, il lui suffit d’être en public pour prendre naturellement l’accent mesuré, les façons discrètes, le demi-sourire

  1. Candide, dernier chapitre : « Quand on ne disputait pas, l’ennui était si excessif que la vieille osa un jour lui dire : « Je voudrais bien savoir lequel est le pire, ou d’être violée cent fois par des pirates nègres, d’avoir une fesse coupée, de passer par les baguettes chez les Bulgares, d’être fouetté et pendu dans un autodafé, d’être disséqué, de ramer aux galères, d’éprouver enfin toutes les misères par lesquelles nous avons passé, ou bien de rester ici à ne rien faire ? — C’est une grande question, dit Candide. »
  2. Par exemple, la préface d’Alzire adressée à Mme du Châtelet, les vers à la princesse Ulrique :

    « Souvent un peu de vérité, etc. »