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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/208

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L’ANCIEN RÉGIME


table ; ni la naissance, ni la propriété, ni la fonction, ni la capacité, ne sont des titres : grand ou petit, ignorant ou savant, général, soldat ou goujat, dans l’armée sociale chaque individu n’est qu’une unité munie d’un vote ; où vous voyez la majorité, là est le droit. C’est pourquoi le Tiers pose son droit comme incontestable, et, à son tour, dit comme Louis XIV : « L’État, c’est moi ». Une fois le principe admis ou imposé, tout ira bien. « Il semblait, dit un témoin[1], que c’était par des hommes de l’âge d’or qu’on allait être gouverné. Ce peuple libre, juste et sage, toujours d’accord avec lui-même, toujours éclairé dans le choix de ses ministres, modéré dans l’usage de sa force et de sa puissance, ne serait jamais égaré, jamais trompé, jamais dominé, asservi par les autorités qu’il leur aurait confiées. Ses volontés feraient ses lois, et ses lois feraient son bonheur. » La nation va être régénérée : cette phrase est dans tous les écrits et dans toutes les bouches. À Nangis[2], Arthur Young trouve qu’elle est le fond de la conversation politique. Le chapelain d’un régiment, curé dans le voisinage, ne veut pas en démordre ; quant à savoir ce qu’il entend par là, c’est une autre affaire. Impossible de rien démêler dans ses explications, « sinon une perfection théorique de gouvernement, douteuse à son point de départ, risquée dans ses développements et chimérique quant à ses fins ». Lorsque l’Anglais leur propose en exemple la Constitution anglaise, « ils en font

  1. Marmontel, Mémoires, II, 247.
  2. Arthur Young, I, 222.