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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/212

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L’ANCIEN RÉGIME


« imaginer un emblème plus effrayant de despotisme et de servitude ? » — L’orateur lui-même imitait « le rugissement du lion ; tout l’auditoire était ému, et moi, qui passais si souvent à la barrière Saint-Victor, je m’étonnais que cette image horrible ne m’eût pas frappé. J’y fis ce jour-là même une attention particulière, et, sur le pilastre, je vis pour ornement un bouclier, suspendu à une chaîne mince que le sculpteur avait attachée à un petit mufle de lion, comme on voit à des marteaux de porte ou à des robinets de fontaine ». — Sensations perverties, conceptions délirantes, ce seraient là pour un médecin des symptômes d’aliénation mentale ; et nous ne sommes encore qu’aux premiers mois de 1789 ! — Dans des têtes si excitables et tellement surexcitées, la magie souveraine des mots va créer des fantômes, les uns hideux, l’aristocrate et le tyran, les autres adorables, l’ami du peuple et le patriote incorruptible, figures démesurées et forgées par le rêve, mais qui prendront la place des figures réelles et que l’halluciné va combler de ses hommages ou poursuivre de ses fureurs.

VI

Ainsi descend et se propage la philosophie du dix-huitième siècle. — Au premier étage de la maison, dans les beaux appartements dorés, les idées n’ont été que des illuminations de soirée, des pétards de salon, des feux de Bengale amusants ; on a joué avec elles, on les