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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/266

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L’ANCIEN RÉGIME


ce mécanisme. Aussi bien, « en Normandie, dit le Parlement de Rouen[1], chaque jour on voit saisir, vendre, exécuter, pour n’avoir pas acheté de sel, des malheureux qui n’ont pas de pain ».

Mais, si la rigueur est aussi grande qu’en matière de taille, les vexations sont dix fois pires ; car elles sont domestiques, minutieuses et de tous les jours. — Défense de détourner une once des sept livres obligatoires pour un autre emploi que pour « pot et salière ». Si un villageois a économisé sur le sel de sa soupe pour saler un porc et manger un peu de viande en hiver, gare aux commis ! Le porc est confisqué et l’amende est de 300 livres. Il faut que l’homme vienne au grenier acheter de l’autre sel, fasse déclaration, rapporte un bulletin et représente ce bulletin à toute visite. Tant pis pour lui s’il n’a pas de quoi payer ce sel supplémentaire ; il n’a qu’à vendre sa bête, et s’abstenir de viande à Noël ; c’est le cas le plus fréquent, et j’ose dire que, pour les métayers à vingt-cinq francs par an, c’est le cas ordinaire. — Défense d’employer pour pot et salière, un autre sel que celui des sept livres. « Je puis citer, dit Letrosne, deux sœurs qui demeuraient à une lieue d’une ville où le grenier n’ouvre que le samedi. Leur provision de sel était finie. Pour passer trois ou quatre jours jusqu’au samedi, elles firent bouillir un reste de saumure, dont elles tirèrent quelques onces de sel. Visite et procès-verbal des commis. À force

  1. Floquet, I, 367 (10 mai 1760).