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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/319

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LE PEUPLE


les fils des cultivateurs aisés, et, en général, tous ceux qui ont un crédit ou un protecteur quelconque. — Il ne reste donc pour la milice que les plus pauvres, et ce n’est pas de bon cœur qu’ils y entrent. Au contraire, le service leur est si odieux, que souvent ils se sauvent dans les bois, où il faut les poursuivre à main armée : dans tel canton qui, trois ans plus tard, fournira en un jour de cinquante à cent volontaires, les garçons se coupent le pouce pour être exempts du tirage[1]. — À cette vase de la société, on ajoute la balayure des dépôts et maisons de force. Parmi les vagabonds qui les remplissent, lorsqu’on a évacué ceux qui peuvent faire connaître leur famille ou trouver des répondants, « il n’y a plus, dit un intendant, que des gens absolument inconnus ou dangereux ; dans ce nombre on prend ceux qu’on regarde comme les moins vicieux, et l’on cherche à les faire passer dans les troupes[2] ». — Dernier affluent, l’embauchement demi-forcé, demi-volontaire, qui le plus souvent ne verse dans les cadres que l’écume des grandes villes, aventuriers, apprentis renvoyés, fils de famille chassés, gens sans asile et sans aveu. L’embaucheur, payé à tant par homme qu’il

  1. Maréchal de Rochambeau, Mémoires, I, 427. — Marquis d’Argenson, 24 décembre 1752. « On compte plus de 30 000 hommes suppliciés pour désertion depuis la paix de 1748 ; l’on attribue cette grande désertion au nouvel exercice, qui fatigue et désespère les soldats, surtout les vieux soldats. » — Voltaire, Dictionnaire philosophique, article Supplices. « Je fus effrayé un jour en voyant la liste des déserteurs depuis huit années seulement : on en comptait 60 000. »
  2. Archives nationales. H, 554. (Lettre de M. de Bertrand, intendant de Rennes, du 17 août 1785.)


  anc. rég. ii.
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