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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/55

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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


« qu’on assoupit et dont au bout de six mois il n’est plus question ? — Que ce même homme soit volé, toute la police est aussitôt en mouvement, et malheur aux innocents qu’il soupçonne ! — Passe-t-il dans un lieu dangereux, voilà les escortes en campagne. — L’essieu de sa chaise vient-il à se rompre, tout vole à son secours. — Fait-on du bruit à sa porte, il dit un mot et tout se tait. — La foule l’incommode-t-elle, il fait un signe et tout se range. — Un charretier se trouve-t-il sur son passage, ses gens sont prêts à l’assommer, et cinquante honnêtes piétons seraient plutôt écrasés qu’un faquin retardé dans son équipage. — Tous ces égards ne lui coûtent pas un sol ; ils sont le droit de l’homme riche, et non le prix de la richesse. — Que le tableau du pauvre est différent ! Plus l’humanité lui doit, plus la société lui refuse. Toutes les portes lui sont fermées même quand il a le droit de les faire ouvrir, et, s’il obtient quelquefois justice, c’est avec plus de peine qu’un autre obtiendrait grâce. S’il y a des corvées à faire, une milice à lever, c’est à lui qu’on donne la préférence. Il porte toujours, outre sa charge, celle dont son voisin plus riche a le crédit de se faire exempter. Au moindre accident qui lui arrive, chacun s’éloigne de lui. Que sa pauvre charrette renverse, je le tiens heureux s’il évite en passant les avanies des gens lestes d’un jeune duc. En un mot, toute assistance gratuite le fuit au besoin, précisément parce qu’il n’a pas de quoi la payer. Mais je le tiens pour un homme perdu, s’il a le malheur d’avoir