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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/74

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L’ANCIEN RÉGIME


affaires ; s’ils lui cèdent le pas en public, c’est par bienséance. Ils ont beau la proclamer souveraine légitime, ils ne lui laissent jamais sur eux qu’une autorité passagère, et, sous son gouvernement nominal, ils sont les maîtres de la maison. Ces maîtres de l’homme sont le tempérament physique, les besoins corporels, l’instinct animal, le préjugé héréditaire, l’imagination, en général la passion dominante, plus particulièrement l’intérêt personnel ou l’intérêt de famille, de caste, de parti. Nous nous tromperions gravement si nous pensions qu’ils sont bons par nature, généreux, sympathiques, ou, tout au moins, doux, maniables, prompts à se subordonner à l’intérêt social ou à l’intérêt d’autrui. Il y en a plusieurs, et des plus forts, qui, livrés à eux-mêmes, ne feraient que du ravage. — En premier lieu, s’il n’est pas sûr que l’homme soit par le sang un cousin éloigné du singe, du moins il est certain que, par sa structure, il est un animal très voisin du singe, muni de canines, carnivore et carnassier, jadis cannibale, par suite chasseur et belliqueux. De là en lui un fonds persistant de brutalité, de férocité, d’instincts violents et destructeurs, auxquels s’ajoutent, s’il est Français, la gaieté, le rire, et le plus étrange besoin de gambader, de polissonner au milieu des dégâts qu’il fait ; on le verra à l’œuvre. — En second lieu, dès l’origine, sa condition l’a jeté nu et dépourvu sur une terre ingrate où la subsistance est difficile, où, sous peine de mort, il est tenu de faire des provisions et des épargnes. De là pour lui la préoccupation constante et l’idée fixe d’acquérir, d’amasser et de posséder, la rapacité et l’avarice,