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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/159

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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


s’écrie : « C’est la longue impunité des criminels qui a pu rendre le peuple bourreau ; oui, la colère du peuple, comme la colère de Dieu, n’est trop souvent que le supplément terrible du silence des lois[1] ». — En

    verbal des administrateurs du district et des officiers municipaux de Brest, 27 novembre 1791. — Lettre de M. de Marigny, commissaire de la marine à Brest, 28 novembre. — Lettres de M. de la Jaille, etc.) M. de la Jaille, envoyé à Brest pour commander le Duguay-Trouin, arrive le 27 novembre. Pendant qu’il dîne, vingt personnes entrent dans la chambre, lui déclarent, « au nom de beaucoup d’autres », que sa présence excite du trouble à Brest, qu’il faut qu’il parte, et « qu’on ne souffrira pas qu’il prenne le commandement d’un vaisseau ». — Il répond qu’il quittera la ville aussitôt après son dîner. — Survient une nouvelle députation plus nombreuse, exigeant qu’il sorte à l’instant et sous escorte. — Il se soumet ; on le conduit jusqu’aux portes de la ville, et l’escorte se retire. Aussitôt un attroupement se jette sur lui, « son corps est couvert de contusions ». Il est sauvé à grand’peine par six braves gens, dont un charcutier qu’on appelait pour le saigner sur place. « Cette insurrection est le résultat d’une séance extraordinaire du club des Amis de la Constitution, tenue la veille en présence du public, dans la salle de spectacle ». — Notez que M. de la Jaille n’est pas un aristocrate hautain, mais un homme sensible à la façon des héros de Florian et de Berquin. Roué de coups comme il vient de l’être, il écrit à « M. Le président des Amis de la Constitution de Brest qu’il aurait voulu voler dans le sein de la société pour y porter le tribut de la sensibilité et de la reconnaissance. Il n’a accepté son commandement que sur les instances de MM. les Américains réunis à Paris et des six commissaires récemment arrivés de Saint-Domingue ». — Mercure de France, n° du 14 avril, article de Mallet du Pan ; « J’ai vainement demandé la vengeance des lois contre les assassins de M. de la Jaille ; tout le monde à Brest nomme les auteurs de l’attentat commis en plein jour et dont des milliers de témoins pourraient déposer. La procédure a été commencée et décrétée ; mais l’exécution des décrets demeure suspendue. Plus puissants que la loi, les motionnaires, protecteurs des assassins, effrayent ou paralysent ses ministres. »

  1. Mercure de France, n° du 12 novembre, séance du 31 octobre 1792.