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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/18

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LA RÉVOLUTION


maladie est bénigne et guérit vite. L’établissement public étant solide et soigneusement gardé, les mécontents découvrent promptement qu’ils sont trop faibles pour l’ébranler, et qu’à combattre ses gardiens ils ne gagneront que des coups. Eux-mêmes, après avoir murmuré, ils y entrent par une porte ou par une autre, se font leur place, en jouissent ou s’y résignent. À la fin, par imitation, par habitude, par calcul, ils se trouvent enrôlés de cœur dans la garnison qui, en protégeant l’intérêt public, protège par contre-coup leur intérêt privé. Presque toujours au bout de dix ans, un jeune homme a pris son rang dans la file et y avance pas à pas dans son compartiment, qu’il ne songe plus à casser sous l’œil du sergent de ville, qu’il ne songe plus à maudire. Sergents de ville et compartiments, parfois même il les juge utiles et, considérant les millions d’individus qui se heurtent pour gravir plus vite l’escalier social, il parvient à comprendre que la pire des calamités serait le manque de barrières et de gardiens. — Ici, les barrières vermoulues ont craqué toutes à la fois, et les gardiens, débonnaires, incapables, effarés, ont laissé tout faire. Aussitôt la société, dissoute, est devenue un pêle-mêle, une cohue qui s’agite et crie, chacun poussant, poussé, tous exaltés d’abord et se félicitant d’avoir enfin leurs coudées franches, tous exigeant que les nouvelles barrières soient aussi fragiles, et les nouveaux gardiens aussi débiles, aussi désarmés, aussi inertes qu’il se pourra. C’est ce que

    cellence de son âme tardait à venir. » (l’Éducation sentimentale.)