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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/182

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LA RÉVOLUTION


voir l’immensité de leur délivrance, toutes les taxes directes ou indirectes abolies en droit ou supprimées en fait depuis trois ans, la bière à deux sous le pot, le vin à six sous la pinte, les pigeons dans leur garde-manger, le gibier à la broche, le bois des forêts nationales dans leur grenier, la gendarmerie timide, la police absente, en beaucoup d’endroits toute la récolte pour eux, le propriétaire n’osant réclamer sa part, le juge évitant de les condamner, l’huissier refusant de les poursuivre, les privilèges rétablis en leur faveur, l’autorité publique humble devant leurs attroupements, docile sous leurs exigences, inerte ou désarmée contre leurs méfaits, leurs attentats excusés ou tolérés, leur grand sens et leur grand cœur célébrés dans des milliers de harangues, la veste et la blouse considérés comme les insignes du patriotisme, la suprématie dans l’État revendiquée pour les sans-culottes au nom de leurs mérites et de leur vertu. — Et voici qu’on leur annonce le renversement de tout cela, une ligue des rois étrangers, les émigrés en armes, l’invasion imminente, les Croates et les Pandours en campagne, des hordes de mercenaires et de barbares poussées contre eux pour les remettre à la chaîne ! — Une colère formidable roule de l’atelier à la chaumière avec les chansons nationales qui dénoncent la conspiration des tyrans et appellent le peuple aux armes[1]. C’est le second flot de la révolution qui monte et gronde, moins large que le premier, puisqu’il

  1. La chanson Veillons au salut de l’empire est de la fin de 1791. La Marseillaise a été composée en avril 1792.