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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/195

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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


dans leur prison[1]. Devant le décret de l’Assemblée nationale qui ordonne leur élargissement, la municipalité réclame, atermoie, résiste, et, à la fin, ameute ses suppôts ordinaires. Au moment où les prisonniers vont sortir, une multitude de gens armés, « sans uniforme et sans chef », incessamment « grossie d’hommes sans aveu et d’étrangers », s’attroupe sur les hauteurs qui dominent le Palais et apprête ses fusils pour tirer sur M. Lieutaud. Sommée de proclamer la loi martiale, la municipalité s’y refuse : elle déclare que « la haine publique est trop manifestée contre les accusés » ; elle exige que le régiment suisse rentre dans sa caserne et que les détenus restent dans leur prison ; tout ce qu’elle consent à leur accorder, c’est la permission secrète de fuir à la façon des coupables : ils s’esquive-

  1. Archives nationales. Lettres de M. Lieutaud aux commissaires, 11 et 18 mai 1791 : « Si je n’ai pas péri sous le fer de l’assassin, je ne dois la conservation de mon existence qu’à la sagesse et à la sévérité des consignes que vous avez fait prescrire à la garde nationale et à la troupe de ligne… Dans l’audience tenue aujourd’hui, le substitut de la commune s’est permis de menacer le tribunal de l’opinion et de la fureur vengeresse du peuple… » Le peuple, qu’on avait amené et ameuté, disait : « Il faut aller prendre Lieutaud de force ; s’il ne veut pas monter, nous lui couperons la tête. » — « La salle d’audience, les pas-perdus et l’escalier étaient remplis de gens sans aveu et pieds nus. » — Lettre de Cabrol, commandant de la garde nationale, et des officiers municipaux aux commissaires, 21 mai : « Ce piquet de 50 hommes sur la grande place n’est-il pas plutôt une occasion d’émeute qu’un moyen de la prévenir ? Cette réquisition d’envoyer quatre gardes nationaux dans l’intérieur de la prison, pour y rester jour et nuit, n’est-elle pas une insulte faite aux citoyens-soldats dont les fonctions sont de veiller au maintien des lois et non au service d’une geôle ? »