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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/41

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LES JACOBINS


deux groupes : d’un côté, les aristocrates, les fanatiques, les égoïstes, les hommes corrompus, bref les mauvais citoyens ; de l’autre côté, les patriotes, les philosophes, les hommes vertueux, c’est-à-dire les gens de la secte[1]. Grâce à cette réduction, le vaste monde moral et social qu’elle manipule se trouve défini, exprimé, représenté par une antithèse toute faite. Rien de plus clair à présent que l’objet du gouvernement : il s’agit de soumettre les méchants aux bons, ou, ce qui est plus court, de supprimer les méchants ; à cet effet, employons largement la confiscation, l’emprisonnement, la déportation, la noyade et la guillotine. Contre des traîtres, tout est permis et méritoire ; le Jacobin a canonisé ses meurtres et maintenant c’est par philanthropie qu’il tue. — Ainsi s’achève ce caractère, pareil à celui d’un théologien qui deviendrait inquisiteur. Des contrastes extraordinaires

    toutes les cours de l’Europe ; et je suis bien sûr de les forcer à la paix. Heureux du bonheur de tous, je reporterai vers vous seul la reconnaissance publique. » — Un obscur folliculaire, Robert, demandait à Dumouriez l’ambassade de Constantinople, et l’auteur de Faublas, Louvet, déclare dans ses Mémoires que la liberté a péri parce qu’on ne l’a pas nommé ministre de la justice.

  1. Moniteur, XIV, 189. Discours de Collot d’Herbois à propos des mitraillades de Lyon : « Et nous aussi, nous sommes sensibles ! Les Jacobins ont toutes les vertus : ils sont compatissants, humains, généreux. Mais, toutes ces vertus, ils les réservent pour les patriotes, qui sont leurs frères, et les aristocrates ne le seront jamais ! » — Meillan, Mémoires, 4 : « Robespierre faisait un jour l’éloge d’un nommé Desfieux, homme connu par son improbité et qu’il a sacrifié dans la suite. — Mais votre Desfieux, lui dis-je, est connu pour un coquin. — N’importe, c’est un bon patriote. — Mais c’est un banqueroutier frauduleux. — C’est un bon patriote. — Mais c’est un voleur. — C’est un bon patriote. — Je n’en pus arracher que ces trois paroles. »