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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/51

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LES JACOBINS


s’armer contre les brigands, s’approvisionner de grains, se garder contre les entreprises possibles de la cour. Des comités se sont installés aux hôtels de ville ; des volontaires se sont formés en milices bourgeoises ; des milliers de pouvoirs locaux presque indépendants se sont substitués au pouvoir central presque détruit[1]. Pendant six mois, tout le monde a vaqué aux affaires communes, et chaque particulier, devenu une personne publique, a porté sa quote-part dans le fardeau du gouvernement : lourd fardeau en tout temps, plus lourd en temps d’anarchie ; c’est l’avis du plus grand nombre, mais ce n’est pas l’avis de quelques-uns. Par suite, entre ceux qui s’en sont chargés, un départ se fait, et deux groupes se forment, l’un gros, inerte, dissous, l’autre petit, serré, actif, chacun dans sa voie et à l’entrée de deux voies qui vont en divergeant de plus en plus.

D’un côté sont les hommes ordinaires, les gens occupés et de bon sens, qui ont un peu de conscience et point trop d’amour-propre. S’ils ont ramassé le pouvoir, c’est qu’il gisait par terre, abandonné dans la rue ; ils ne le détiennent que provisoirement, car ils ont deviné d’avance ou découvert très vite qu’ils n’étaient guère propres à cet office ; c’est un office spécial qui, pour être convenablement rempli, exige une préparation et une compétence. On ne devient pas, du jour au lendemain, législateur ou administrateur, et la raison en est qu’on ne devient pas à l’improviste médecin ni chirurgien. Si quelque accident m’y oblige, je m’y résignerai, mais à contre-

  1. Cf. la Révolution, III, 96 et suivantes.