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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 6, 1904.djvu/6

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LA RÉVOLUTION


gouvernements nouveaux et d’espèce inférieure. En tout État qui s’est dissous, il se forme des bandes conquérantes et souveraines : tel fut le cas en Gaule après la chute de l’empire romain et sous les derniers descendants de Charlemagne ; tel est le cas aujourd’hui en Roumélie et au Mexique. Aventuriers, malfaiteurs, gens tarés ou déclassés, hommes perdus de dettes et d’honneur, vagabonds, déserteurs et soudards, tous les ennemis-nés du travail, de la subordination et de la loi se liguent pour franchir ensemble les barrières vermoulues qui retiennent encore la foule moutonnière, et, comme ils n’ont pas de scrupules, ils tuent à tout propos. Sur ce fondement s’établit leur autorité : à leur tour, ils règnent, chacun dans son canton, et leur gouvernement, aussi brut que leur nature, se compose de vols et de meurtres ; on ne peut attendre autre chose de barbares et de brigands.

Mais jamais ils ne sont si dangereux que dans un grand État récemment dissous, où, une révolution brusque leur a mis en main le pouvoir central ; car alors ils se croient les héritiers légitimes du gouvernement déchu, et, à ce titre, ils entreprennent de conduire la chose publique. Or, en temps d’anarchie, la volonté ne vient pas d’en haut, mais d’en bas, et les chefs, pour rester chefs, sont tenus de suivre l’aveugle impulsion de leur troupe[1]. C’est pourquoi le personnage important et

  1. Thierry, fils de Clovis, ne voulant pas prendre part à l’expédition que ses frères faisaient en Bourgogne, ses hommes lui dirent : « Si tu ne veux pas aller en Bourgogne avec tes frères, nous te quitterons et nous les suivrons à ta place. » — Un