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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/429

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LA FIN DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


système, par une conséquence pratique de la théorie spéculative qui, érigeant chaque homme en souverain absolu, met chaque homme en guerre avec tous les autres, et qui, sous prétexte de régénérer l’espèce humaine, déchaîne, autorise et consacre les pires instincts de la nature humaine, tous les appétits refoulés de licence, d’arbitraire et de domination. — Au nom du peuple idéal qu’ils déclarent souverain et qui n’existe pas, les Jacobins ont usurpé violemment tous les pouvoirs publics, aboli brutalement tous les droits privés, traité le peuple réel et vivant comme une bête de somme, bien pis, comme un automate, appliqué à leur automate humain les plus dures contraintes, pour le maintenir mécaniquement dans la posture antinormale et raide que, d’après les principes, ils lui infligeaient. Dès lors, entre eux et la nation, tout lien a été brisé ; la dépouiller, la saigner et l’affamer, la reconquérir quand elle leur échappait, l’enchaîner et la bâillonner à plusieurs reprises, ils l’ont bien pu ; mais la réconcilier à leur gouvernement, jamais. — Entre eux, et pour la même raison, par une autre conséquence de la même théorie, par un autre effet des mêmes appétits, nul lien n’a pu tenir. Dans l’intérieur du parti, chaque faction, s’étant forgé son peuple idéal selon sa logique et selon ses besoins, a revendiqué pour soi, avec les privilèges de l’orthodoxie, le monopole de la souveraineté[1] ; pour s’assurer les bé-

  1. Mallet du Pan, Mercure britannique, nos du 25 décembre 1798, et du 10 décembre 1799. — « Dès l’origine de la Révolution, dans le fracas des protestations patriotiques, au milieu de tant d’effusions populaires de dévouement à la cause du peuple et de la