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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/103

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NAPOLÉON BONAPARTE


autant qu’il gouverne, et, dans chaque service, il conduit le détail aussi attentivement que l’ensemble ; partant, pour chefs de service, il ne lui faut que des scribes actifs, des exécutants muets, des manœuvres dociles et spéciaux, point de conseillers libres et sincères : « Je ne saurais que faire d’eux, disait-il[1], s’ils n’avaient une certaine médiocrité de caractère ou d’esprit. » Quant à ses généraux, il reconnaît lui-même « qu’il n’aime à donner la gloire qu’à ceux qui ne peuvent pas la porter ». À tout le moins, il veut « être seul maître des réputations pour les faire ou les défaire à son gré », selon ses besoins personnels ; c’est qu’un militaire trop éclatant deviendrait trop important ; il ne faut pas que le subordonné soit jamais tenté d’être moins soumis. À cela, les bulletins pourvoient par des omissions calculées, par des altérations, par des arrangements : « Il lui arrive de garder le silence sur cer-

    Crétet, Réal, etc.). Lacuée, directeur de la conscription, est un type parfait du fonctionnaire impérial. Ayant reçu le grand cordon de la Légion d’honneur, il disait avec une ivresse d’enthousiasme : « Que deviendra la France sous un tel homme ? Jusqu’à quel point de bonheur et de gloire ne la fera-t-il pas monter, pourvu toutefois qu’on sache tirer de la conscription 200 000 hommes tous les ans ! Et, en vérité, avec l’étendue de l’empire, cela n’est pas difficile ». De même Merlin de Douai : « Je n’ai jamais connu d’homme, dit l’auteur, qui eut moins le sentiment du juste et de l’injuste ; tout lui semblait bon et bien, étant la conséquence d’un texte de loi. Il était même doué d’une espèce de sourire satanique qui venait involontairement se placer sur ses lèvres, toutes les fois que l’occasion se présentait, en faisant l’application de son odieuse science, de conclure à la nécessité d’une rigueur, d’une condamnation quelconque. » De même Defermon, en matière fiscale.

  1. Mme de Rémusat, II, 366 ; III, 46 ; II, 205, 210 ; III, 168.


  le régime moderne, i.
T. IX. — 7