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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/118

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LE RÉGIME MODERNE


« jeunes femmes s’endorment ; on sort du théâtre, triste et mécontent. » — Même gêne dans ses salons. Il ne savait, et, je crois, ne voulait mettre personne à son aise, craignant la moindre apparence de familiarité et inspirant à chacun la crainte de s’entendre dire, devant témoins, quelque parole désobligeante… Pendant les contredanses, il se promène entre les rangs des dames, pour leur adresser des mots insignifiants ou désagréables », et jamais il ne les aborde qu’avec « gêne et mauvaise grâce » ; au fond, il est défiant et malveillant[1] à leur endroit. C’est que « le pouvoir qu’elles ont acquis dans la société lui semble une usurpation insupportable ». — « Il n’est jamais sorti de sa bouche[2] un seul mot gracieux ou seulement bien tourné vis-à-vis d’une femme, bien que l’effort pour en trouver s’exprimât souvent sur sa figure et dans le son de sa voix… Il ne leur parle que de leur toilette, de laquelle il se déclare juge minutieux et sévère, et sur laquelle il leur fait des plaisanteries peu délicates, ou bien du nombre de

  1. Mme de Rémusat, I, 112 ; II, 77.
  2. M. de Metternich, I, 286 : « On imaginerait difficilement plus de gaucherie dans la tenue que Napoléon n’en avait dans un salon. » — Varnhagen d’Ense, Ausgewählte Schriften, III, 77 (Audience du 10 juillet 1810) : « Je n’ai jamais entendu une voix si âpre, si peu assouplie. Quand il souriait, sa bouche seule, avec une portion des joues, souriait ; son front et ses yeux restaient immuablement sombres… Ce mélange de sourire et de sérieux avait quelque chose de terrible et d’effrayant. » — Une fois, à Saint-Cloud, devant un cercle entier de dames, Varnhagen l’a entendu répéter une vingtaine de fois cette même et unique phrase : « Il fait chaud ! »