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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/187

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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


mer les chefs, il invente une nouvelle façon de les nommer ; en d’autres termes, il impose à l’Église une discipline nouvelle, contraire à son esprit ou même à ses dogmes. Parfois même, poussant plus loin, il réduit les corps à n’être que des branches de sa propre administration et transforme leurs chefs en fonctionnaires révocables, dont il commande et conduit tous les actes : tels, sous l’Empire et la Restauration, le maire et les conseillers dans la commune, les professeurs et proviseurs dans l’Université. Encore un pas, et l’invasion s’achève : naturellement, quand il entreprend un nouveau service, il est tenté, par ambition ou précaution, par préjugé ou théorie, de s’en réserver ou d’en déléguer le monopole ; avant 1789, il y en avait un au profit de l’Église catholique par l’interdiction des autres cultes, et il y en avait un au profit de chaque communauté d’arts et de métiers par l’interdiction du travail libre ; après 1800, il y en eut un au profit de l’Université, par les entraves et gênes de toute espèce imposées à l’ouverture et à la tenue des écoles privées. — Or, par chacune de ces contraintes, l’État empiète sur le domaine de la personne. Plus il étend ses empiétements, plus il ronge et réduit le cercle d’initiatives spontanées ou d’actions indépendantes qui est la vie propre de l’individu. Si, conformément au programme jacobin, il pousse à bout ses ingérences[1], il absorbe en soi toutes les vies individuelles : désormais il n’y a plus dans la communauté que des automates manœuvrés d’en haut, des résidus infiniment petits de

  1. La Révolution, tome VIII, 207-208.