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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/127

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superbes corps nus posés comme des lutteurs à la façon de Michel-Ange. Dans l’autre pièce sont de vieux petits tableaux noircis, Tobie et l’Ange, entre des colonnades. Les moindres objets portent l’empreinte de l’ancienne grandeur.

Les savants de Rome viennent souvent ici passer deux ou trois mois dans les chaleurs de l’été, afin de travailler à leur aise, au frais et en silence. La bibliothèque a quarante mille volumes et une quantité de diplômes. L’hospitalité est complète, il n’y a pas de tronc, à peine si l’on peut donner quelque chose au domestique. L’ordre a gardé ses anciennes traditions, son goût pour la science, son esprit libéral. Les moines ne sont point cloîtrés, séparés du monde ; ils peuvent sortir et voyager. Un d’entre eux, le père Tosti, est un historien, un penseur, un réformateur respectueux, mais imbu de l’esprit moderne, persuadé qu’il faut désormais concilier l’Église et la science. Ils travaillent comme autrefois, et ils enseignent. Sur trois cents habitants du monastère, il y a vingt moines et environ cent cinquante élèves qu’on conduit depuis les rudiments jusqu’à la théologie. Le soir, au-dessous de nous, dans un creux plein de genêts et de lentisques, nous entendions les enfants du séminaire crier et courir, et leurs robes noires, leurs chapeaux à larges bords, apparaissaient entre le vert des arbres.

Nous avons dîné seuls dans l’immense réfectoire, à la lumière d’une lampe de cuivre, presque semblable à celles de Pompéi, sans verre ; la petite flamme jetait une clarté vacillante sur les dalles, sur la grande voûte de pierre ; tous les reflets se noyaient dans l’obscurité envahissante et vague. Sur la droite une fresque énorme