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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/146

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a-t-il de plus indifférent pour le lecteur vulgaire que la tache rouge coulante et la belle ligne de la jambe, surtout en pareil moment ? Flaubert et Gautier qu’on trouve singuliers et novateurs font aujourd’hui des descriptions toutes semblables. Il manque aux anciens d’être commentés par des artistes ; jusqu’à présent, ils ne l’ont été que par des érudits de cabinet. Ceux qui connaissent leurs vases n’en voient que le dessin, la belle composition régulière, le mérite classique ; il reste à retrouver le coloris, l’émotion, la vie ; tout cela surabondait ; il n’y a qu’à voir la pétulance, les bouffonneries, l’incroyable imagination d’Aristophane, sa profusion d’inventions imprévues et saugrenues, sa fantaisie, sa polissonnerie, l’incomparable fraîcheur, les sublimités soudaines de la poésie qu’il jette au milieu de ses grotesques ; on mettrait ensemble tout l’esprit et toute la verve des ateliers de Paris depuis vingt ans qu’on n’en approcherait pas. La tête humaine était alors bâtie et meublée d’une façon particulière ; les sensations y entraient avec un autre choc, les images avec un autre relief, les idées avec une autre suite. Par certains traits, ils ressemblaient aux Napolitains d’aujourd’hui, par quelques-uns aux Français sociables du dix-septième siècle, par d’autres aux jeunes lettrés des républiques du seizième siècle, par d’autres enfin aux Anglais armés qui s’établissent en ce moment dans la Nouvelle-Zélande ; mais il faudrait une vie d’homme et le génie d’un Gœthe pour reconstruire de pareilles âmes. J’entrevois, je ne vois pas.