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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/170

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Certainement cet Apollon a du savoir-vivre et en outre la conscience de son rang ; je suis sûr qu’il a des domestiques.

Le Laocoon non plus n’est pas d’un âge très-ancien ; je crois que si ces deux statues ont été d’abord admirées plus que les autres, c’est qu’elles sont plus que les autres voisines du goût moderne. Celle-ci est un compromis entre deux styles et deux époques, pareille à une tragédie d’Euripide. La gravité et l’élévation du premier style subsistent encore dans la pose symétrique des enfants, dans la noble tête du père qui a perdu force et courage, et qui fronce le front sans crier ; mais l’art nouveau, sentimental et expressif, se montre dans le caractère terrible et touchant du sujet, dans la réalité atroce du corps ondoyant des serpents, dans la faiblesse attendrissante du pauvre petit qui meurt tout de suite, dans le fini des muscles, du torse et du pied, dans l’enflure douloureuse des veines, dans la minutieuse anatomie de la souffrance. Aristophane eût dit de ce groupe, comme de l’Hippolyte ou de l’Iphigénie d’Euripide, qu’il fait pleurer, qu’il ne fortifie pas, qu’au lieu de changer les femmes en hommes, il change les hommes en femmes.

Si les pas des visiteurs ne troublaient la paix des salles, on passerait ici la journée sans s’en apercevoir. Chaque dieu, chaque héros repose dans son oratoire, entouré de statues moindres ; les quatre oratoires font les coins d’une cour à huit pans, autour de laquelle règne un portique. Des cuves de basalte et de granit, des sarcophages chargés de figurines, sont posés çà et là sur le pavé de marbre ; seule une fontaine s’agite et murmure dans ce sanctuaire de pierres immobiles et de formes